Tribunal d’Arrondissement de et à Luxembourg - Jugement civil n° 2019TALCH20/00009 du 17 octobre 2019, rôle n° 164577
qui rappelle certains principes applicables en matière de contentieux entre les actionnaires et les administrateurs d’une société à la suite d’infractions aux dispositions de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales.
Quant à la distinction entre le préjudice individuel de l’actionnaire et le préjudice social
Selon l’article 441-9, alinéa 2, de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, « les administrateurs sont solidairement responsables, soit envers la société, soit envers tous tiers, de tous dommages résultant d’infractions aux dispositions de cette loi ou des statuts sociaux ».
En ce qui concerne l’analyse des dommages subis par un actionnaire, le Tribunal a rappelé qu’ « [e]n droit luxembourgeois, l’action individuelle ne peut être intentée que par l’actionnaire qui s’estime victime d’un préjudice personnel, indépendamment de celui éventuellement supporté par la société, et l’amoindrissement du patrimoine social ne peut constituer le préjudice subi personnellement par l’associé (cf. CA, 15 janvier 2009, n° 33.081) ».
En outre, le Tribunal a souligné que « [l]e critère permettant de distinguer le préjudice social du préjudice individuel réparable consiste dans le fait que ce dernier va directement affecter la valeur des titres ou la situation patrimoniale de l’actionnaire sans que le patrimoine de la société n’ait été atteint. Le préjudice individuel réparable est celui qui affecte directement le patrimoine de l’actionnaire sans impliquer en même temps une atteinte au patrimoine social ou un appauvrissement de ce dernier. Le préjudice individuel ne doit pas constituer une simple répercussion du préjudice social et doit, par conséquent, être déconnecté d’une perte qui affecterait l’actif social (cf. Frédéric Danos, La réparation du préjudice individuel de l’actionnaire, n° 13, RJDA 5/08, p. 471) ».
En l’espèce, le Tribunal a estimé que la perte de capital investi par la société demanderesse en tant qu’actionnaire et à la suite des décisions prises par les administrateurs constituait une simple répercussion du préjudice social qui n’est pas déconnectée de la perte affectant l’actif social. Par conséquent, la société demanderesse n’a pas établi un préjudice distinct et personnel et sa demande en condamnation des administrateurs au paiement de dommages-intérêts a été déclarée irrecevable.
Quant à l’inopposabilité aux tiers des limitations internes
Le Tribunal a aussi rappelé qu’un contrat valablement signé par les représentants de la société ne peut pas être annulé pour cause d’irrégularité dans le processus interne de cette société.
Conformément au principe de l'inopposabilité aux tiers des limitations statutaires, les tiers ne peuvent pas invoquer les limitations statutaires pour obtenir l’annulation d’une transaction autorisée par les administrateurs. En l’espèce, la transaction contestée par une société qui est à considérer comme un tiers avait été approuvée par le Conseil d’administration alors qu’elle aurait dû être décidée par l’assemblée générale. Le Tribunal a confirmé que « [d]e par la loi, les organes sociaux représentent valablement la société en toute opération juridique; les limitations ont un effet purement interne. Un tiers ne peut dès lors pas se prévaloir de l'irrégularité de l’engagement souscrit (cf. Ch. Resteau, Traité des sociétés anonymes, 3e édition, Tome II, 1982, p.138) ».