Il serait équitable de finir cette année 2017, parsemée d’initiatives en matière de défense des droits des femmes - initiatives que nous saluons et soutenons tout particulièrement[1] - en soulignant certaines dispositions pensées et prévues au Luxembourg en vue d’assurer l’égalité des hommes devant la parentalité.
Il y a un an, la nouvelle loi sur le congé parental[2] offrait aux pères la possibilité de prendre congé en même temps et au même titre que les mères. Bientôt, le congé extraordinaire accordé au père pour la naissance d’un enfant, le congé de paternité, passera de 2 à 10 jours[3]. Ces mesures et efforts du législateur, entrepris notamment pour répondre à la nécessité de soutenir l’égalité homme – femme, imposent un petit rappel des conditions de ces congés et un questionnement sur les problématiques posées en pratique.
En effet, certaines questions sont traitées par la loi quant aux conditions des congés de ces messieurs, alors qu’en revanche, il reste des questions auxquelles la loi ne répond pas, créant un vide.
On peut en effet se demander s’il s’agit d’un droit automatique au congé, ou bien si ces congés relèvent de ce qu’on pourrait appeler une faculté, notamment si l’employeur peut les refuser? Faut-il que le nouveau père soit salarié afin de bénéficier de ces droits, et dans l’affirmative depuis quand? Finalement, un père peut-il perdre ces congés ou les voir reportés?
Autant de questions pertinentes ... il convient donc d’éclairer le chemin de ces pères des temps modernes.
Congé paternité – congé parental : de quoi parle-t-on?
Le congé paternité (également connu sous le nom de congé de naissance) correspond au nombre de jours accordés au père du fait de la venue au monde de son enfant.
En droit européen, ce congé n’existe pas encore mais il est proposé dans une directive de la Commission européenne relative à l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée[4].
D’un autre côté, le congé parental est le temps accordé au conjoint pour qu’il puisse soutenir par sa présence physique le développement de son enfant, interrompant ainsi sa carrière professionnelle tout en sachant que son droit à la réintégration à son emploi lui est garanti.
Au niveau européen pour l’instant il est prévu 4 mois non rémunérés[5]. Avec la nouvelle directive, il en sera autrement puisqu’une rémunération pendant le congé parental sera imposée.
Donc le congé de paternité s’ajoute au congé parental à la suite de la naissance de l’enfant du salarié.
Droit à dix jours de congé de paternité ?
10 jours c’est magnifique! Mais alors, quelles sont les conditions du congé de paternité ?
Actuellement, le congé de paternité fait partie des congés extraordinaires. Comme tout congé, le père voulant bénéficier de ses dix jours devra en informer son employeur.
Analysons plus en profondeur les contours de cette « information ».
La jurisprudence rappelle, à propos des congés extraordinaires pour des raisons d’ordre personnel, que l’employé a l’obligation d’informer l’employeur en temps utile des raisons de son absence[6]. Il en est de même pour les congés de naissance. Le père doit motiver son congé de paternité.
S’agit-il donc d’un droit ou d’une faculté ? Pour répondre à cette question, il convient de préciser que le projet de loi sanctionne le non-respect du délai de préavis de deux mois - imposé au salarié pour informer de la prise de congé de paternité - en accordant à l’employeur le pouvoir de réduire ce congé à deux jours.
Il est prévu que le père informe l’employeur, par écrit[7], avec un préavis de deux mois. Donc, en réalité, c’est une demande de congé.
Pour le moment, en tant que congé extraordinaire, les congés de paternité ne peuvent être pris qu’au moment où l’événement donnant droit au congé se produit et ne peuvent être reportés[8] ou interrompre les congés légaux[9] que dans des conditions strictes.
Le projet de loi innove cependant en prévoyant que le congé de paternité est fractionnable et peut être pris endéans les deux mois de la naissance de l’enfant.
S’agissant de l’accord de l’employeur, que se passe-t-il lorsque la demande lui est faite ? Doit-il l’accueillir favorablement ou peut-il refuser la demande du père ?
Le projet de loi prévoit qu’à défaut d’accord entre employeur et salarié, le congé de paternité devra être pris en une seule fois et immédiatement après la naissance de l’enfant.
Comme indiqué dans le projet de loi, “ces congés sont fixés en principe selon le désir de l’employé, à moins que les besoins de l’entreprise ne s’y opposent”.
Ainsi, l’employeur peut refuser que le congé de paternité soit fractionné et/ou prisendéans les deux mois de la naissance de l’enfant.
Finalement, le nouveau père qui souhaite profiter du congé de paternité doit-il être employé depuis une certaine durée?
Le code prévoit que le père n’a pas à observer le délai d’attente de trois mois. En d’autres termes, l’obligation d’avoir été employé pendant les 3 derniers mois précédant la demande ne s’applique pas au congé de paternité.
Pourtant en pratique, comment pouvoir profiter d’un congé de paternité si le salarié est employé depuis tout juste un mois, sachant qu’il aurait dû faire la demande deux mois avant la naissance de l’enfant ?
Il ne vous aura pas échappé que le congé de paternité n’est pas un droit automatique qui s’appliquerait purement et simplement au père dès la naissance de son enfant, mais qu’il est bel et bien accordé s’il est demandé dans le respect des prescriptions légales.
À ce stade, le projet de loi n’en dit pas encore plus, il faut alors en conclure que ces dix jours sont pour partie un droit à deux jours de congé que le père doit demander, et une possibilité permettant de rallonger le congé paternité de huit jours supplémentaires, à condition de faire la demande de congé de paternité, par écrit, deux mois à l’avance, justificatif à l’appui et en obtenant l’accord de l’employeur.
Pour finir, le congé paternité est perdu si la naissance intervient pendant la maladie du père.
Ce que ni le code du travail ni le projet de loi ne disent, c’est comment régler le report des congés de paternité lorsqu’il est impossible pour le père de prendre ce congé, notamment en cas de refus de l’employeur ou lorsque les conditions d’octroi ne sont pas réunies (telle que l’impossibilité de respecter le préavis de deux mois).
Faut-il alors appliquer les règles du report en matière de congés légaux annuels ?
En effet, les congés légaux non pris peuvent être reportés à l’année suivante à condition qu’ils soient pris entre le 1er janvier et le 31 mars. Le fait de prendre des congés annuels est un droit que le salarié doit exercer dans l’année civile. Le report des congés non pris doit être interprété comme une faculté généreusement accordée par l’employeur.
Toutefois, la Cour de Justice de l’Union européenne admettait que le salarié qui a eu la possibilité effective d’exercer son droit au congé sur une période de référence, mais y aurait manqué, pourrait perdre ses congés annuels - toutes dispositions légales ou contractuelles en ce sens seraient conformes au droit de l’Union. La situation diffère lorsque le salarié se trouve privé de son droit de prendre ses congés annuels payés pour des raisons indépendantes de sa volonté.
Ainsi, si un salarié a été dans l’impossibilité de prendre ses congés, en tout ou en partie, au 31 décembre de l’année civile, voire au 31 mars de l’année suivante, la jurisprudence de l’Union s’oppose à ce que ce salarié perde ce droit fondamental[10], quand bien même, une disposition nationale le prévoirait[11].
Droit au congé parental du père ?
Les mêmes questions peuvent être soulevées à propos du congé parental.
À toute fin utile, il est rappelé ici que le congé de maternité ouvre le droit à 8 semaines précédant la naissance (congé prénatal) et à 8 semaines après la naissance (congé post-natal). Après le congé de maternité, la mère peut dans certaines conditions prendre un congé parental.
Pour le père, nous avons vu qu’il peut obtenir dix jours de congé de paternité à la naissance de l’enfant. Le congé parental est un droit ouvert à la fin du congé de paternité pour ces messieurs devenus pères.
Comme beaucoup le savent, avant la loi imposait que l’un des parents exerce son droit au congé parental directement à l’issue de son premier congé (maternel ou paternel), qu’il s’agisse du père ou de la mère.
Pour le parent qui restait, il bénéficiait du second congé parental qui devait être exercé avant les six ans accomplis de l’enfant, ou ses 12 ans dans le cas d’une adoption[12].
Depuis le 1er décembre 2016, ce droit au congé parental peut être exercé simultanément par les parents.
On peut d’ores et déjà constater que le congé parental relève plus d’un droit que d’une faculté, puisqu’il est enfermé dans un délai de six (à douze) ans, avec une obligation à la charge de l’employeur de réintégrer ledit salarié à un poste équivalent.
D’ailleurs, les tribunaux n’hésitent pas à rappeler qu’il s’agit d’un droit prévu par la loi et que le salarié n’a pas donc d’obligation de motiver sa demande[13].
Cependant, il convient de préciser certains contours du droit au congé parental. S’agissant de l’accord de l’employeur, doit-il l’accepter ou peut-il refuser la demande au congé parental du père?
Lorsque les conditions de l’octroi sont remplies, l’employeur doit accepter la demande de congé parental à temps plein.
Même si les conditions de l’octroi sont remplies, l’employeur peut accepter ou refuser, une fois, sans avoir à le motiver, la demande de congé à temps partiel.
Lorsqu’il s’agit d’un congé parental fractionné[14], l’employeur peut le refuser, à condition de motiver ce refus et de proposer une alternative oralement ou par écrit. Si aucun accord n’est trouvé, le salarié pourra opter pour le congé à temps plein.
L’une des problématiques qui a des effets, à la fois du côté employeur comme du côté employé, c’est le droit à la réintégration[15] à cause de la difficulté pratique de réintégrer comme d’être réintégré après un certain délai. Si la réintégration post congé parental est garantie par le code du travail, le poste retrouvé n’est cependant pas nécessairement le même. Il est acquis que le poste retrouvé doit rester similaire.
Cependant, lorsque l’entreprise est restructurée pour des motifs économiques, cette garantie d’emploi “n’est effective” que si le poste subsiste lorsque le salarié reprend son poste ou qu’il puisse accéder à un poste équivalent[16].
Sur la question de savoir depuis combien de temps le père doit avoir été employé, le code du travail prévoit qu’il doit avoir été employé pendant les douze derniers mois précédant la demande.
Cette condition doit être remplie soit au début du congé parental, soit au moment de la naissance de l’enfant ou encore par exemple, au moment de la demande.
En cas de changement d’employeur dans la période des douze mois, il faut alors impérativement obtenir l’accord du nouvel employeur. Les tribunaux ont également rappelé récemment que le congé parental ne peut être demandé pendant la période d’essai[17].
À propos de demande, là encore, on retrouve le même schéma en termes de répartition des droits entre l’employeur et le nouveau père, mais il y a quand même des différences notables.
En effet, la demande doit être écrite et introduite sous forme de lettre recommandée avec accusé de réception au plus tard deux mois avant la période sollicitée, pour le parent qui prend le premier congé et quatre mois avant pour le parent qui prend le second congé.
Pour finir, l’employeur est en fait libre de refuser le congé parental, mais le congé peut être reporté, puisqu’il faut prendre le congé parental avant que l’enfant n’ait accompli ses six ans.
C’est donc un droit que l’on peut perdre s’il n’est pas exercé en temps utile.
Conclusion
Tout cela est compliqué ! Le formalisme est finalement assez lourd pour profiter de ces congés. Il faut s’attacher aux détails des conditions d’octroi et surtout aux délais.
Pour des questions de preuve, il est important de documenter les démarches et actions à l’aide d’un recommandé avec accusé de réception, qu’il s’agisse du père, ou de l’employeur, même lorsque la loi prévoit la possibilité de régler la question verbalement.
Cela dit, pour le congé paternité comme pour le congé parental, il faut savoir se raisonner, car certains pays en Europe n’accordent pas de congé au père à la naissance d’un enfant ! Comparé à ces pays, le Luxembourg est donc un vrai paradis.
[1] Notamment par notre initiative Wildgen4Women – https://www.wildgen.lu/csr-w4/wildgen-4-women
[2] Loi du 3 novembre 2016 applicable depuis le 1er décembre 2016.
[3] Projet de loi n°7060 déposé le 13.09.2017 – amendements gouvernementaux du 26 octobre 2017.
[4] Cette proposition de directive est le résultat de la toute récente entrée en vigueur du Pilier de droits sociaux à l’échelle européenne qui sans nul doute, fait déjà le bonheur de certains.
[5] Directive 2010/18/UE sur le congé parental – article 2.
[6] En ce sens CSJ, 8e, 19 janvier 2012, 35615 et CJS, 3e, 8 juin 2017, 41244 qui rappellent une obligation de motiver la demande.
[7] Le salarié doit informer l’employeur par écrit en remettant une copie du certificat médical attestant de la date présumée de l’accouchement ou un justificatif de la date prévisible de l’accueil d’un enfant adopté.
[8] Si et seulement si le jour de congé paternité tombe un dimanche, un jour férié ou chômé ou un jour de repos compensatoire, il est reporté au 1er jour ouvrable après la naissance.
[9] Si la naissance intervient pendant une période de congé ordinaire, le congé ordinaire est interrompu pendant la durée du congé paternité.
[10] Cour de Justice de l’Union européenne, du 20 janvier 2009 dans lequel elle juge qu’une législation nationale ne peut enfermer le report des congés dans un autre délai si bien que légalement, le report peut intervenir l’année suivante quelle qu’en soit l’époque. Cet arrêt fêtera bientôt ses dix ans, sans que le législateur national n’ait réglé cette question, qui pourtant s’impose quant au droit national. Donc si en effet on ne peut qu’applaudir des deux mains la récente évolution législative, on peut néanmoins se demander en toute bonne foi pourquoi le législateur ne s’est emparé de cette question alors que les tribunaux luxembourgeois ont pu s’en emparer. En ce sens, jugement du Tribunal du Travail de Luxembourg du 25 février 2009, n° 826/2009 du rôle.
[11] Ainsi, un contrat, une convention collective ou une disposition légale pourrait prévoir une période maximale de report, à compter de laquelle le droit au congé serait définitivement perdu. Sur ce point, le juge européen a retenu qu’un report de 15 mois à compter de la fin de la période de référence, soit à partir de la fin de l’année civile est raisonnable et conforme au droit de l’Union.
[12] La législateur prévoit le régime de l’adoption en matière de congés et la traite comme une naissance, à quelques exceptions prés.
[13] CSJ 21 avril 2016, n° 40904 du rôle.
[14] Pour rappel 20% par semaine pendant 20 mois ou totalement pendant 4 mois distincts sur une période de 20 mois
[15] Sans entrer, à ce stade, dans les débats sur la durée de la garantie.
[16] CJS, 2 février 2017, 41118 du rôle.
[17] CSJ 20 octobre 2016, 43943 du rôle.