03/10/24

Télétravail : L’employeur peut-il faire marche-arrière ?

Le télétravail, devenu une norme pour de nombreuses entreprises au Luxembourg, voit son essor freiné, voire remis en question.

Alors que cette pratique a pris son envol avec la pandémie, grâce à l’adoption concomitante de la Convention du 20 octobre 2020 relative au régime juridique du télétravail (la « Convention de 2020 »), certaines entreprises envisagent désormais un retour à une organisation plus traditionnelle, en demandant à leurs salariés de revenir travailler au bureau à temps plein.

Cette tendance soulève de nombreuses interrogations, tant d’un point de vue organisationnel que juridique et réputationnel.

Télétravail : quel est l’état des lieux au Luxembourg ?

Le Panorama social de 2024 publié par la Chambre des salariés donne les informations suivantes en matière de télétravail :

  • Le travail exclusif en présentiel est rare puisque la part de travailleurs ne pratiquant jamais le télétravail a fortement diminué, passant de 72 % en 2017 à 49 % en 2023 ;
  • La majorité des salariés exprime une préférence pour un modèle hybride (télétravail et travail en présentiel) ;
  • Un tiers des salariés reconnaît que leur poste ne se prête pas au télétravail, mais seuls 12 % souhaitent travailler exclusivement en présentiel tandis qu’une part significative veut maintenir un équilibre entre télétravail et travail en présentiel.

Le télétravail est-il une vraie opportunité ?

  • Avantages : Le télétravail offre des avantages indéniables, notamment en matière d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ainsi que des gains de temps grâce à la réduction des déplacements, un enjeu majeur pour les travailleurs frontaliers au Luxembourg, indispensables à l’économie du pays.
  • Défis : Le télétravail présente cependant des défis indéniables pour les entreprises. L’isolement des salariés, la perte de cohésion d’équipe et les difficultés à maintenir une culture d’entreprise forte sont autant d’enjeux que les entreprises doivent gérer. Pour certaines d’entre elles, la décision de revenir à un mode de travail plus traditionnel s’impose comme une réponse à ces problématiques.

Conserver ou retirer le télétravail est une décision stratégique qui s’apprécie au cas par cas et qui ne peut être prise à la légère, notamment dans un marché du travail où la capacité à recruter et à fidéliser les talents est très concurrentielle et représente plus que jamais un défi. Le télétravail constitue en effet un avantage compétitif sur lequel il est devenu difficile de faire l’impasse. Il s’agit donc en définitive avant tout d’une question de gestion des ressources humaines.

Chaque entreprise doit évaluer sa propre situation et décider, le cas échéant en concertation avec les représentants du personnel, s’il est pertinent de maintenir ou non le télétravail. En effet, des études récentes montrent que certains salariés envisagent de changer d’employeur si cette option leur est retirée [1].

Peut-on sortir du télétravail ?

Sur le plan juridique, la question se pose de savoir si un employeur peut revenir sur la mise en place du télétravail. L’employeur peut faire face à deux situations le poussant à restreindre ou mettre fin au télétravail:

  • des raisons disciplinaires (par exemple, en cas de non-respect des règles de télétravail par un salarié) ; ou
  • des raisons organisationnelles (si l’employeur juge que cette forme de travail ne convient plus aux besoins opérationnels de son entreprise).

La Convention de 2020, qui encadre cette forme de travail, met en avant le caractère volontaire du télétravail, tant pour l’employeur que pour le salarié. Ainsi, l’employeur ne peut pas imposer unilatéralement le télétravail. La Convention de 2020 est moins explicite sur le retour au présentiel et elle s’en remet essentiellement à l’autonomie de la volonté, de même qu’elle ne prend pas position explicitement sur le cas d’une restriction en relation avec les modalités de télétravail, telle qu’une réduction du nombre de jours pouvant être travaillés depuis le domicile du salarié.

Il convient donc d’analyser dans quel cas de figure se trouve l’employeur :

Accords collectifs  

Dans le cadre d’accords collectifs ou sectoriels (hypothèse moins fréquente), l’employeur est tenu d’en respecter les dispositions et ne peut déroger au droit au télétravail sans renégocier les termes de la convention dans son intégralité, ce qui supposerait de dénoncer la convention collective à l’arrivée de son terme pour entamer de nouvelles négociations avec les syndicats. Toutefois en règle générale, des clauses de sorties du télétravail ont en principe été négociées, comme par exemple la convention du secteur hospitalier qui stipule dans son article 6.6.2 que « Le télétravail ne constitue pas un droit acquis. Tant le salarié que l’employeur peuvent y mettre fin à tout moment ».

Commun accord

À défaut de convention collective, la suppression du télétravail peut être envisagée d’un commun accord entre l’employeur et le salarié, mais elle ne sera, dans la plupart des cas, pas une solution appropriée si l’employeur souhaite imposer un véritable changement collectif au sein de son entreprise.

Régime de télétravail contractuel

L’employeur averti ayant introduit un régime de télétravail dans son entreprise aura pris soin de fixer par écrit les modalités du retour vers la formule classique, c’est-à-dire un retour en présentiel. Ceci est d’ailleurs une obligation légale suivant l’article 5 de la Convention de 2020 lorsque le télétravail est régulier.

Ainsi, beaucoup d’entreprises ont intégré des clauses prévoyant que le télétravail ne constitue pas un droit acquis et qu’il peut être modifié et/ou retiré à tout moment. De telles clauses devraient être applicables. Si le régime de télétravail ne prévoit pas de telles clauses mais simplement les modalités selon lesquelles l’employeur peut restreindre ou supprimer unilatéralement le télétravail, il ne peut être exclu que ces clauses puissent être sujettes à contestation de la part des salariés, selon les circonstances (par exemple si le délai de prévenance n’est pas considéré comme raisonnable).

Absence de cadre juridique clair

La situation devient plus complexe et potentiellement conflictuelle lorsqu’aucune procédure de retour en présentiel n’a été formellement prévue. Dans ce cas, les pratiques établies au sein de l’entreprise pourraient, selon les circonstances factuelles, devenir des droits acquis pour les salariés, rendant difficile une suppression du télétravail sans respecter des procédures légales, telles que la modification unilatérale du contrat de travail, qui exige des délais de prévenance et une justification formelle de la décision.

Télétravail : faut-il impliquer la délégation du personnel ?

En théorie, aucune modification du régime de télétravail et, a fortiori, aucune suppression de ce régime, ne peut être prise sans impliquer la délégation du personnel lorsqu’il y en a une, conformément à la Convention de 2020 et au Code du travail.

Quelle conclusion en tirer ?

En fin de compte, pour les entreprises luxembourgeoises, toute modification du régime de télétravail doit être abordée avec précaution, et ce à de nombreux égards. Une suppression trop rapide ou mal gérée pourrait non seulement affecter le moral et l’organisation interne, mais aussi conduire à des contentieux juridiques. L’implication des représentants du personnel est un point d’attention, notamment dans les entreprises de plus de 150 salariés, où le processus de co-décision s’applique. En plus des enjeux juridiques liés au télétravail, les entreprises doivent également être conscientes des risques réputationnels, car un manquement dans la gestion de cette nouvelle organisation du travail pourrait ternir leur image auprès des salariés, clients et partenaires.

Ainsi, avant d’imposer un retour sur site, il est crucial pour les employeurs de définir une stratégie à long terme, en s’assurant de respecter à la fois le cadre légal et les attentes des salariés, sous peine de compromettre la rétention des talents ou de faire face à des répercussions judiciaires.

[1] Télétravail des cadres : Pas de retour en arrière envisageable pour les cadres, mais des points de vigilance, Association pour l’emploi des cadres (APEC), mars 2024; Majority of Remote Workers Would Quit If Forced to Return to Office: Study, Newsweek, 12 Septembre 2024.

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