L’Union Européenne a toujours eu pour objectif de promouvoir et de protéger les libertés fondamentales. La Directive 98/59 du 20 juillet 1998 relative au rapprochement des législations des Etats membres quant aux licenciements collectifs n’échappe pas à ce principe. En effet, cette dernière n’a pas pour objectif de limiter le droit pour l'employeur de réduire les effectifs de l'entreprise, mais d’harmoniser les règles applicables aux licenciements collectifs. Le législateur communautaire a donc entendu, tout à la fois, assurer une protection comparable des droits des travailleurs dans les différents Etats membres et rapprocher les charges qui pèsent sur les entreprises de la Communauté. C’est donc à partir de ce principe qu’elle qualifie pour tous les Etats membres, la notion de licenciements collectifs comme ceux « […] effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs lorsque le nombre de licenciements intervenus » dépasse un certain nombre de salariés sur une période définie.
Si l'objectif de la Directive 98/59 du 20 juillet 1998 n'est pas de limiter le droit pour l'employeur de réduire les effectifs de l'entreprise, un employeur qui souhaite restructurer une entreprise ou un groupe de sociétés, peut-il se saisir de ce principe de base pour s’opposer à l’application de règles nationales plus contraignantes ?
En d’autres termes, un Etat membre peut-il s’opposer à des licenciements collectifs dans l’intérêt de la protection des travailleurs et de l’emploi et ainsi contrevenir à la liberté d’établissement ?
C’est à cette question épineuse que la grande chambre de la Cour de Justice de Union Européenne (CJUE) a dû répondre lors d’un arrêt rendu en date du 21 décembre 2016. Dans cette affaire, une société grecque, ayant pour actionnaire principal une société française, conteste la décision du ministère du travail de ne pas autoriser son plan de licenciement collectif qui prévoyait la suppression de 236 postes et la fermeture d’une usine. Notons qu’en Grèce en l’absence d’accord collectif, le préfet ou le ministre du travail peut ne pas autoriser la réalisation de tout ou partie des licenciements prévus, après avoir évalué 3 critères : les conditions du marché du travail, la situation de l’entreprise et l’intérêt de l’économie nationale.
Lors des débats devant les juridictions administratives grecques, la société avait pour principale défense, la violation faite par le ministère du travail d’un principe essentiel reconnu par les traités européens, à savoir la liberté d’établissement garanti par l’article 49 du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE). Elle a donc saisi la juridiction administrative en annulation de cette décision. Le Conseil d’Etat grec a alors effectué un renvoi préjudiciel devant la CJUE afin de déterminer si une telle autorisation administrative préalable était conforme à la directive sur les licenciements collectifs et à la liberté d’établissement garantie par les traités. Dans la négative, le juge grec demande si la réglementation nationale peut tout de même être jugée compatible avec le droit de l’Union compte tenu du fait que la Grèce subit une crise économique aiguë et est confrontée à un taux de chômage extrêmement élevé.
En réponse à la première question, la CJUE souligne, que le fait qu’un Etat membre rende moins attrayante un accès à son marché interne en réduisant considérablement la possibilité pour une entreprise d’un autre Etat membre de procéder à des restructurations et des licenciements collectifs, est susceptible de constituer un obstacle sérieux à l’exercice de la liberté d’établissement. Pour autant, elle considère que la directive 98/59 ne s’oppose pas, par principe, à un régime national conférant à une autorité publique le pouvoir d’empêcher des licenciements collectifs par une décision motivée, à moins qu’un tel régime ne prive la directive de son effet utile. En effet, si les magistrats Européens permettent un tel mécanisme, c’est parce qu’il n’a pas pour conséquence d’exclure toute possibilité de procéder à des licenciements, mais vise à encadrer cette possibilité de manière à trouver un juste équilibre entre les intérêts liés à la protection des travailleurs et de l’emploi et ceux ayant trait à la liberté d’établissement. Un tel régime est donc susceptible de répondre à l’exigence de proportionnalité et n’affecte pas le contenu essentiel de la liberté d’entreprise.
Au regard de la Directive 98/59, un Etat peut donc prévoir des dispositions nationales, relatives aux licenciements collectifs, plus contraignantes pour les entreprises. Cette restriction à la liberté d’établissement, doit toutefois être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que la protection des travailleurs et de l’emploi. Il est également admis qu’il puisse prévoir que les projets de licenciement collectif doivent préalablement être notifiés à une autorité nationale dotée de pouvoir de contrôle. La CJUE admet également que cette autorité puisse, en certaines circonstances, s’opposer à un tel projet, pour des motifs ayant trait à la protection des travailleurs et de l’emploi, sans pour autant être contraire à la liberté d’établissement et à la liberté d’entreprise.
Dans le cas de la Grèce, les raisons impérieuses sont examinées par l’administration au regard de 3 critères : les conditions du marché du travail, la situation de l’entreprise et l’intérêt de l’économie nationale. Confirmant une jurisprudence constante, le CJUE conclut, que le critère relatif à l’intérêt de l’économie nationale ne saurait être admis pour justifier des raisons impérieuses d’intérêt général justifiant une restriction à une liberté telle que la liberté d’établissement. En effet, il paraitrait anormal de considérer que les objectifs étatiques de nature économique puissent constituer une raison d’intérêt général justifiant des mesures restrictives envers une telle liberté. En revanche, s’agissant des critères relatifs à la situation de l’entreprise et aux conditions du marché du travail, la CJUE les considère, au regard des règles européennes, rattachables aux objectifs légitimes d’intérêt général que sont la protection des travailleurs et de l’emploi. Toutefois en Grèce, leur rédaction est très imprécise et ne permet pas aux employeurs de savoir précisément dans quelles circonstances spécifiques et objectives les autorités administratives peuvent s’opposer aux plans de licenciement collectif. Elle en conclut donc que de tels critères imprécis qui ne reposent pas sur des conditions objectives et contrôlables, vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les buts indiqués. De fait, dans de telles circonstances, l’article 49 du TFUE « doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans une [telle] situation […] à une réglementation nationale en vertu de laquelle un employeur ne peut, en l’absence d’accord avec les représentants des travailleurs sur un projet de licenciement collectif, procéder à un tel licenciement qu’à la condition que l’autorité publique nationale compétente à laquelle doit être notifié ce projet n’adopte pas, dans le délai prévu par ladite réglementation et après examen du dossier et évaluation des conditions du marché du travail, de la situation de l’entreprise ainsi que de l’intérêt de l’économie nationale, une décision motivée de ne pas autoriser la réalisation de tout ou partie des licenciements envisagés ».
En outre, nous retiendrons que la situation économique d’un Etat ne lui permet pas de durcir les conditions de licenciement collectif. Pour la CJUE, ni la directive ni le TFUE ne prévoient de dérogation basée sur l’existence d’un tel contexte national.
Nous pouvons donc en conclure que le droit de l’Union n’empêche pas, par principe, un Etat membre de s’opposer, en certaines circonstances, à des licenciements collectifs dans l’intérêt de la protection des travailleurs et de l’emploi. Rappelons que la CJUE avait d’ailleurs adopté une position similaire dans un arrêt du 18 janvier 2007, rappelant en l’espèce que la directive 98/59 vise « à instaurer une protection minimale relative à l’information et à la consultation des travailleurs en cas de licenciements collectifs. [... et que] les États membres restent libres d’adopter des mesures nationales plus favorables auxdits travailleurs ». En fait, la possibilité pour l’employeur de procéder ou non à des licenciements collectifs ne relève pas de l’application de la directive 98/59, mais du ressort des Etats membres. De surcroit, une telle décision revient à admettre les autorisations préalables de licenciement collectif opérées par l’Administration.
La solution rendue par la CJUE amène à se demander si elle trouverait également à s’appliquer aux négociations avec l’Office National de Conciliation lors de la signature d’un plan social d’une entreprise luxembourgeoise, ou encore à l’homologation, ou à la validation du plan de sauvegarde de l’emploi d’une entreprise française ? Pour autant, contrairement aux licenciements collectifs grecs, les administrations luxembourgeoise et française n’apportent pas de réelle appréciation sur le motif économique des licenciements (celle-ci étant laissée à la charge du juge du fond), mais se contentent d’opérer une vérification du respect de la procédure et du contenu du Plan. Ainsi, si la CJUE était saisie d’une telle question concernant les normes nationales luxembourgeoises, il est probable qu’elles soient considérées, au regard de cette décision, comme justifiées et proportionnées.