La partie appelante soutient que la lettre de démission ne correspond pas aux exigences de l’article L.124-10 (3) du code du travail qui dispose que le ou les faits reprochés doivent être énoncés avec précision, de sorte qu’il serait impossible à la Cour de contrôler les motifs à la base de la démission du salarié.
Or, le paragraphe 3 de l’article L.124-10 du code du travail relatif à la résiliation immédiate pour faute grave ne vise que le licenciement du salarié par l’employeur, mais non la démission du salarié pour motif grave. Celle-ci n’est donc soumise à aucune règle de forme et le salarié n’est partant pas obligé de communiquer les motifs de sa décision à l’employeur. Il suffit qu’il les énonce en cas d’action en justice intentée soit par lui-même sur base de l’article L.124-10 (1), soit par l’employeur sur base de l’article L.124-6, afin de permettre aux juges d’apprécier si la résiliation immédiate a été occasionnée par une faute de l’employeur donnant lieu à des dommages et intérêts ( article L.124-10 (1)), respectivement si le salarié était autorisé par l’article L.124-10 à démissionner sans préavis ( article L.124-6 ).
En indiquant dans son courrier de démission du 13 mai 2014 qu’il démissionnait pour faute grave dans le chef de l’employeur, B a régulièrement démissionné.
L’employeur ne pouvait par ailleurs pas se méprendre sur la faute grave invoquée par le salarié à la base de sa démission sans préavis, dans la mesure où ce dernier lui a fait parvenir le 2 mai 2014 une mise en demeure de payer les arriérés de salaires au plus tard pour le 12 mai 2014.
LE MOYEN SOULEVÉ PAR L’APPELANTE N’EST PARTANT PAS FONDÉ.
L’employeur conteste à nouveau en instance d’appel que le non-paiement des salaires, qui est avéré, constitue une faute grave dans son chef, justifiant une démission avec effet immédiat, dans la mesure où le non-paiement était justifié par la situation financière difficile dans laquelle il se trouvait.
La Cour adopte à cet égard la motivation du jugement attaqué, qui répond de manière correcte tant aux moyens de première instance, qu’aux conclusions prises en instance d’appel pour arriver à la conclusion que : « les manquements persistants à son obligation de payer le salaire à la fin du mois par l’employeur constitue un motif grave au sens de l’article L.124-10 du code du travail, rendant immédiatement et définitivement impossible le maintien de la relation de travail pour le salarié », et pour déclarer la démission avec effet immédiat justifiée.
Le jugement est partant à confirmer sur ce point.
Compte tenu de la régularité de la démission, le jugement entrepris est encore à confirmer en ce qu’il a, conformément à l’article L.124-10 (1) du code du travail, alloué au salarié des dommages et intérêts pour les préjudices matériel et moral subis.
INDEMNISATION DU SALARIÉ
Compte tenu de la nature de l’emploi recherché, des efforts faits par le salarié pour trouver un nouvel emploi, c’est à bon droit que le tribunal du travail a fixé le préjudice matériel sur base d’une période de référence de 4 mois et 3 jours, période qui a été nécessaire au salarié pour trouver un nouvel employeur. C’est encore à bon escient qu’il a fait abstraction des allocations de chômage touchées en Belgique, dès lors que le salarié a signé une cession de créance en faveur de l’Office National de l’Emploi, par laquelle il cède l’indemnité ou les dommages et intérêts qu’il touchera de la part de l’employeur dans le cadre de sa demande en dommages et intérêts portée devant les juridictions du travail.
C’est finalement à juste titre que le salarié demande à la Cour de rectifier une erreur de calcul faite par le tribunal du travail dans la fixation de son préjudice matériel, de sorte que le préjudice matériel est à fixer à 4 x 4.183,62 euros, soit 16.724,48 euros + 4183,62/173*3*8 (soit 580,32 €) = 17.304,80 euros.
L’intimé interjette appel incident de la décision lui ayant alloué la somme de 3.000 euros pour le préjudice moral subi. Il soutient qu’en raison du comportement de son employeur, qui ne lui a plus versé les salaires pro-mérités, il a dû faire face à des dépenses incompressibles, à des frais fixes mensuels de 2.800 euros sans revenus, le mettant dans une situation financière précaire et l’obligeant, pour subvenir à ses besoins, d’emprunter de l’argent auprès de sa famille, de sorte que son préjudice moral devrait être évalué à la somme de 16.661,93 euros, d’autant plus qu’en tant que salarié démissionnaire, il n’a pas droit, contrairement au salarié licencié, au paiement des indemnités compensatoires de préavis et de départ.
Compte tenu de la durée de la relation de travail de plus de 10 ans, de l’âge du salarié, de sa qualification professionnelle, du souci qu’il a dû se faire pour retrouver un emploi, il y a lieu de fixer, par réformation du jugement entrepris, le préjudice moral à la somme de 5.000 euros.
BIEN-FONDÉ DE LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE
L’appelante réitère sa demande reconventionnelle formulée contre l’intimé sur base de l’article L.121-9 du code du travail d’un montant de 16.000 euros.
Elle maintient avoir découvert, après la démission du salarié, que ce dernier n’a pas correctement effectué son travail pendant les derniers mois, notamment dans le dossier du client C, de sorte que deux autres salariés ont dû investir de nombreuses heures pour terminer ce travail.
C’est à bon droit que le tribunal du travail a rappelé « qu’aux termes de l’article L.121- 9 du code du travail l’employeur supporte les risques engendrés par l’activité de l’entreprise. Le salarié supporte les dégâts causés par ses actes volontaires ou par sa négligence grave et que la négligence grave au sens de cet article, pour être de nature à engager la responsabilité du salarié, s’entend d’une faute involontaire grossière, équipollente au dol en ce sens que le salarié, s’il n’a pas voulu causer le dommage, s’est cependant comporté comme s’il l’avait voulu. »
Le tribunal a encore fait une appréciation correcte des attestations testimoniales versées à cet égard, en retenant « qu’en l’espèce les attestations ne contiennent pas d’éléments permettant de déceler dans le comportement du salarié, audelà d’une erreur ou d’une attitude de nonchalance, une négligence grave au sens de l’article L.121-9 du code du travail, voire un acte volontaire, de nature à engager sa responsabilité à l’égard de son employeur. »
L’appelante est par ailleurs malvenue de faire des reproches au salarié concernant l’exécution de son travail, en présence de sa propre inexécution fautive, sur plusieurs mois, de son obligation essentielle de payer les salaires.
Finalement, même si l’appelante chiffre actuellement le préjudice subi suite aux prétendues négligences commises par B à la somme de 16.000 euros, force est de constater que l’appelante ne précise pas à quoi correspond exactement ce montant et sur base de quels critères il a été fixé unilatéralement par l’employeur.
Il suit des considérations qui précèdent, que le jugement est encore à confirmer en ce qu’il a déclaré la demande reconventionnelle formulée par l’employeur non-fondée.
Dans la mesure où aucune des parties n’a interjeté appel de la décision du tribunal du travail relative aux arriérés de salaire, la Cour n’est pas saisie de ce volet et ne tiendra pas compte des conclusions prises par les parties à cet égard.
B interjette encore appel incident de la décision de première instance lui ayant alloué une indemnité de procédure de 350 euros et il sollicite l’augmentation de la susdite indemnité à la somme de 1.500 euros.
Il réclame également une telle indemnité de procédure sur base de l’article 240 du nouveau code de procédure civile, d’un montant de 2.500 euros pour l’instance d’appel.
Au vu du résultat positif pour le salarié de la première instance, il ne paraît pas inéquitable de lui allouer, par réformation du jugement entrepris, une indemnité de procédure de 750 euros.
La demande du salarié pour l’instance d’appel est encore fondée jusqu’à concurrence du montant de 1.000 euros, alors qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge exclusive les frais non compris dans les dépens qu’il est tenu d’exposer.
La partie qui succombe et est condamnée aux frais et dépens ne peut par contre pas se prévaloir des dispositions de l’article 240 du nouveau code de procédure civile, de sorte que la demande afférente de l’employeur est à rejeter.
(C.S.J., 13/10/2016, 42666).