Le législateur souhaite mettre un frein à l’augmentation du nombre de faillites à Luxembourg. Le projet de loi d’inspiration belge déposé le 1er février 2013 relatif à la préservation des entreprises et portant sur la modernisation du droit de la faillite comprend différents volets (préventif, répressif, réparateur et social) et actualise le système d’ores et déjà existant. Ce projet de loi, bien qu’ambitieux, ne manque pas de soulever des questions.
Le droit de la faillite au Grand-Duché de Luxembourg est acurs systèmes autour de différents axetuellement régi par les articles 437 et suivants du Code de Commerce et s’inspire en grande partie du droit et de la jurisprudence belges. La législation applicable en matière de faillite n’a cependant que très peu évolué depuis 1935. Le législateur luxembourgeois, au vu du nombre croissant de faillites prononcées ces dernières années, avait d’ores et déjà tenté de réformer ce droit par l’introduction d’un projet de loi en 2003, resté cependant lettre morte.
Plusieurs facteurs l’ont de nouveau contraint à déposer l’actuel projet de loi :
- Ainsi, en 2012, le seuil des 1000 faillites a été dépassé et l’on recense plus de 2000 salariés qui ont bénéficié des avances effectuées pas l’Administration pour l’Emploi auxquelles les salariés ont droit dans le cadre d’une faillite (ci-après «ADEM»).
- Par ailleurs, l’Union européenne, par une proposition de la Commission du 12 décembre 2012, incite vivement les Etats Membres à se doter d’un système uniforme en matière de réorganisation des entreprises en difficulté et à faire converger leurs systèmes autour de différents axes[1]. Cette dernière laisse au préalable une chance aux Etats d’adopter des réformes dans leurs pays respectifs avant d’adopter une directive européenne en cas de manque de collaboration des états.
- Enfin, l’Etat luxembourgeois accuse, du fait de l’augmentation exponentielle du nombre de faillites, des coûts importants destinés à payer notamment les curateurs de faillites et les créances des salariés.
Ce nouveau projet de loi, également d’inspiration belge, entend mettre en place au Luxembourg un système préventif de faillite afin de préserver les entreprises en difficulté et leur permettre d’échapper à la faillite, renforcer le système répressif pour les débiteurs récalcitrants, réduire les coûts liés à la faillite tout en préservant les intérêts des salariés (I). Mais ce projet de loi, bien qu’ambitieux, ne manque pas de poser certaines questions (II).
I. ELEMENTS DE LA REFORME
Pour parvenir à son but, le législateur a axé la réforme sur 4 grands volets (A) et a décidé de conserver certains pans de la législation actuelle, tout en les modernisant (B).
A. UN PROJET AXE SUR 4 VOLETS
1. Volet préventif
Le volet préventif tend à détecter plus rapidement les entreprises en difficulté par le biais de collecte d’informations sur l’entreprise, ce qui n’était pas le cas actuellement. Ce mécanisme est rendu possible par une coopération accrue entre différents organismes étatiques dont le Centre Commun de la Sécurité Sociale (ci-après «CCSS»), l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines (ci-après «AED»), l’Administration des Contributions Directes (ci-après «ACD») et le Registre de Commerce et des Sociétés (ci-après «RCS»).
La collecte d’informations permet, à la demande du débiteur en difficulté, de demander des mesures conservatoires, que ce soit dans un premier temps via une procédure non judiciaire ou, dans un second temps, via une procédure judiciaire.
Dans le cadre de ces deux procédures, les principaux acteurs sont :
- Le Secrétariat du comité de conjoncture chargé de la collecte des informations,
- Le Comité inter-administratif, institutionnalisé en Comité d’Evaluation des Entreprises en Difficulté (ci-après «CEvED»), chargé de déterminer si l’entreprise est viable ou si une procédure de faillite est inévitable. Le CEvED est composé de membres du CCSS, de l’AED, de l’ACD et du Ministère de l’Economie et des Finances,
- Le juge du Tribunal d’arrondissement, siégeant en matière commerciale et en formation collégiale et,
- Dans certains cas, le Parquet.
Dans le cadre de la procédure non judiciaire, il est laissé à l’entreprise la possibilité de trouver un accord amiable avec un ou plusieurs de ses créanciers avec ou sans la nomination d’un conciliateur chargé d’identifier les difficultés de l’entreprise et les solutions envisageables pour arriver à un redressement de la situation.
Dans le cadre de la procédure judiciaire, l’idée principale pour l’entreprise est d’introduire une requête en ouverture d’une procédure en réorganisation judiciaire devant le Tribunal d’arrondissement, en demandant un sursis pour permettre au débiteur, soit de trouver ou finaliser un accord collectif avec les créanciers, soit de procéder à une réorganisation de son entreprise, soit enfin d’organiser un transfert d’entreprise et éviter ainsi l’ouverture d’une procédure en faillite.
2. Volet répressif
Le volet répressif tend principalement à punir plus sévèrement les débiteurs de «mauvaise foi» qui négligent leurs obligations et leurs responsabilités dans la création et dans la gestion de leurs entreprises ou qui constituent des entreprises à «coquille vide».
Ainsi, il est prévu de supprimer la banqueroute frauduleuse pour ne conserver que l’infraction générale de banqueroute simple prévue par l’article 438 du Code de Commerce et par l’article 489 du Code pénal. Ainsi, l’infraction serait décriminalisée et permettrait de toucher un plus grand nombre de personnes, l’instruction n’étant pas obligatoire en matière délictuelle.
Par ailleurs, le législateur envisage d’introduire un concept de «dissolution administrative», dont le principal avantage sera la réduction des coûts pour l’Etat et une procédure simplifiée au strict nécessaire. Pour pouvoir ouvrir cette procédure, le Parquet devra constater la réalisation de 3 conditions cumulatives :
- La société visée ne doit pas disposer d’actif ou d’un actif inférieur à un seuil encore à déterminer,
- La société ne doit pas employer de salariés,
- La société doit remplir les conditions d’ouverture d’une faillite (cessation de paiement et ébranlement de crédit) ou d’une liquidation[2].
Si tel est le cas, la société sera dissoute sans besoin d’effectuer toutes les démarches jusqu’ici nécessaires à la mise en œuvre de la procédure de liquidation.
Le législateur entend également renforcer la procédure en comblement de passif prévue à l’article 495 du Code de Commerce en remplaçant la notion de faute grave et caractérisée par la notion de faute simple de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif. L’activité en comblement de passif s’appliquera dès lors plus longtemps et visera ainsi davantage les dirigeants de sociétés en faillite.
Enfin, le projet de loi prévoit de faciliter les sanctions visant à interdire le débiteur de mauvaise foi à exercer le commerce.
3. Volet réparateur
Le projet de loi introduit la notion de débiteur de «bonne foi», qui vise tout débiteur commerçant personne physique qui connaît des difficultés financières sans intention première de les provoquer. Dans cette situation, le législateur souhaite mettre en place un système de seconde chance pour ce débiteur en lui permettant d’effacer son ardoise de passif, une fois la clôture de la faillite effectuée et lui éviter de devoir s’acquitter du solde avec son patrimoine personnel.
4. Volet social
Enfin, dans le but de préserver les entreprises tout en conservant les droits des salariés, il est prévu notamment pendant la procédure non judiciaire, de travailler sur des plans de maintien de l’emploi.
B. AUTRES MODIFICATIONS PREVUES
A côté des 4 principaux volets de la réforme, le législateur a également souhaité moderniser légèrement la procédure existante. Ainsi parmi ces points figurent l’extension des personnes pouvant introduire les différentes procédures en incluant notamment le Parquet et la nomination du curateur qui ne sera pas automatiquement choisi parmi les avocats[3].
II. LIMITES POSEES PAR LE PROJET DE LOI
Ce projet de loi, bien qu’ambitieux et tenant compte des avis des principaux acteurs luxembourgeois, a pour principale limite de n’octroyer qu’un pouvoir de conseil et non coercitif aux organes tels que le secrétariat du comité de conjoncture, le CEvED ou encore le conciliateur. Cette limite risque de compromettre la bonne application des réformes envisagées, dans la mesure où il reviendra au débiteur de solliciter une procédure de réorganisation en cas de difficulté et ce dernier ne sera pas lié par les avis donnés par les organismes. Il est dès lors à craindre qu’un débiteur de mauvaise foi tentera de dissimuler ses difficultés financières.
Dans une telle hypothèse, le but principal du législateur (réduire les coûts, prévenir les faillites et responsabiliser les débiteurs de mauvaise foi) risque d’être compromis et de faire apparaître les difficultés de l’entreprise bien trop tard pour pouvoir éviter une procédure d’ouverture de faillite.
En outre, la possibilité donnée au débiteur de conclure des accords amiables avec un ou plusieurs créanciers dans le cadre d’une procédure non judiciaire risquerait de conduire à des inégalités entre les différents créanciers en cas d’ouverture subséquente d’une procédure de faillite. Cette question n’a, à ce jour, pas encore été abordée concrètement par le législateur.
[1] Communication from the Commission to the European Parliament , the Council and the European Economic and Social Committee «a new European approach to business failure and insolvency » COM(2012) 742 final, 12.12.2012 (grands axes: conditions d’ouverture, procédure de déclaration, sécurité, plan préventif, rôle du juge en cas de sursis, notion de débiteur de bonne et mauvaise foi, rapidité des procédures).
[2]Article 203 de la loi du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales.
[3] Article 455 du Code de Commerce.