Le cannabis est le stupéfiant plus largement consommé au Luxembourg. Après de longs débats politiques, il a été décidé de procéder par étapes en vue de la légalisation (du moins partielle) du cannabis. Le projet de loi n° 8033 vient d’être déposé, introduisant une première libéralisation de l’approche historiquement répressive à l’égard du cannabis. Dans cette première étape, il ne s’agit pas de légaliser ce produit sans limitations, mais de permettre sa consommation à des fins récréatives et de réduire les peines lorsque l’usage ou la détention sont purement privées.
L’employeur doit-il désormais tolérer la consommation de cannabis sur le lieu de travail ou pendant la pause de midi ? C’est l’occasion de faire un point sur les responsabilités patronales en matière de consommation de stupéfiants.
1) L’employeur peut-il interdire la consommation de cannabis sur le lieu de travail ?
La réponse est clairement affirmative. Le projet de loi décriminalise uniquement la cultivation de quatre plantes par foyer (communauté domestique) au domicile ou au lieu de résidence habituelle d’une personne majeure, ainsi que la consommation de ce cannabis à ce domicile privé.
La consommation dans un lieu public reste en tout état de cause interdite. Les peines encourues sont cependant fortement réduites. Depuis 2001, la consommation n’était plus assortie d’une peine d’emprisonnement et seule une amende de 251 à 5.000 euros est prévue. Le projet de loi réduit encore la fourchette de l’amende à 25 à 500 euros ; alternativement, les officiers de police peuvent décerner un avertissement taxé de 145 euros.
Le fait que la consommation se fasse au lieu de travail continuera à être une circonstance aggravante, qui fait encourir au consommateur de cannabis une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 6 mois et à une amende de de 2.500 euros. Au sein des entreprises, la législation en perspective ne changera donc pas la donne.
Puisque la consommation en dehors du domicile privé constitue une infraction, l’employeur pourra (et devra) interdire la consommation sur le lieu de travail.
Pour les salariés en télétravail, la réponse est moins évidente, puisqu’ils ne commettent pas d’infraction en consommant du cannabis pendant le temps de travail. Par contre, puisque l’employeur peut interdire l’utilisation de produits légaux tels que l’alcool et les cigarettes pendant le temps de travail, il devrait également être en droit de proscrire le cannabis. Les entreprises devraient réfléchir à compléter leurs règlements internes et codes de conduite en ce sens.
2) La simple détention de cannabis reste-t-elle illégale ?
La simple détention de cannabis en dehors du domicile privé reste en toute circonstance une infraction. Cependant, lorsque la quantité détenue ne dépasse pas le seuil de 3 grammes et que le produit est transporté ou détenu exclusivement pour un usage personnel, seule l’amende réduite ou l’avertissement taxé trouveront application.
Il est donc interdit d’être en possession de cannabis, même en petites quantités, et ce en tout lieu en dehors du domicile. Il n’y a en revanche pas d’augmentation de la peine lorsque la détention se fait sur le lieu de travail.
Cette interdiction n’implique cependant pas que le salarié peut automatiquement faire l’objet d’une sanction disciplinaire lorsque l’employeur découvre qu’il détenait ce produit. S’il est vrai que la Cour d’appel a pu juger en 2013 que rien que la détention de 0,1 gramme d’héroïne sur le lieu de travail justifie un licenciement avec effet immédiat, le cannabis ne constitue cependant pas une drogue dure. En outre, s’il est destiné à être consommé en dehors du travail, il s’agit en principe d’un fait de la vie privée n’affectant pas directement la qualité de la prestation de travail. La réaction patronale devra être mesurée.
3) Qu’en est-il des produits CBD ?
Si chaque salarié est autorisé à ramener son café ou son thé dans le local de repos, l’employeur peut-il enjoindre à un salarié particulier d’enlever son paquet de thé CBD, avec une feuille de chanvre bien visible sur le paquet ?
Les produits dits CBD (cannabidiol) sont permis sous condition que la teneur en THC soit inférieure à 0,3 %. Huiles, gélules, infusions, superfoods, complémentaires alimentaires, chocolats, bonbons et biscuits s’achètent légalement dans un nombre grandissant de magasins et en ligne.
Sous l’aspect de la sécurité et de la santé au travail, il est discutable si ces produits ont un effet suffisant pour que l’employeur puisse ou doive s’en inquiéter. La jurisprudence et législation luxembourgeoises sont pour l’instant assez peu précis concernant l’étendue dans laquelle les choix privés du salarié doivent être respectés par l’employeur. Puisqu’il s’agit à chaque fois de produits légaux, une question d’égalité de traitement se pose si l’employeur autorise les cigarettes, mais interdit le vapotage de produits CBD. Les mêmes questions se posent par ailleurs pour tout élément vestimentaire pro-cannabis (t-shirts, pendentifs, boucles d’oreille, etc.).
Appelé à sensibiliser et à mettre en œuvre une politique anti-drogue et pouvant interdire également l’alcool sur le lieu de travail, il est probable que les juges accepteraient une interdiction du CBD par l’employeur. S’agissant d’un produit légal à l’impact (a priori) minime sur la qualité du travail, toute sanction disciplinaire devra être proportionnée.
Inversement, certaines voix plaident aussi pour que l’employeur autorise explicitement la consommation de produits CBD et ce dans une optique de bien-être sur le lieu de travail. Le débat est donc loin d’être clos et de faire l’unanimité.
4) Que faire si on suspecte le salarié d’avoir consommé ?
Le salarié peut avoir consommé du cannabis, désormais même légalement, avant de se présenter au travail. Dans de nombreux cas, l’employeur ne s’en rendra probablement pas compte. Il peut cependant l’apprendre par d’autres sources, détecter une odeur caractéristique ou avoir des suspicions en raison du comportement (p.ex. lenteur des réactions, problèmes de concentration) ou de l’apparence du salarié (p.ex. yeux rougis), signes qui sont cependant toujours équivoques.
En vertu des règles sur la sécurité et la santé sur le lieu de travail, l’employeur est obligé de veiller à la sécurité tant du salarié concerné que de ses collègues. En fonction de la nature du travail, et surtout pour les postes à risque, il ne faut donc pas ignorer ces signes. Dans l’immédiat, une suspension de toute forme de travail dangereuse s’impose suivant le principe de précaution.
Pour le surplus l’employeur a cependant peu de moyens pour agir. En effet, la loi ne l’autorise pas explicitement à procéder à un dépistage, par exemple par des tests rapides (généralement dans l’urine), un test précis nécessitant un prélèvement sanguin. L’accord du salarié ne rend pas le dépistage légitime, puisqu’il est donné par un salarié subordonné dans une situation de forte pression et en outre – si le test est positif – sous influence de stupéfiants. Les jurisprudences luxembourgeoises sur le sujet sont rares. Une décision a considéré qu’il faut procéder à une pondération entre les intérêts de l’employeur, responsable de la sécurité, et le respect de la vie privée du salarié. L’employeur doit disposer d’un objectif légitime et sa démarche doit être proportionnée, le dépistage doit être limité aux postes à risques en présence d’un incident sérieux et il doit être fait par le médecin du travail.
Selon les recommandations de l’AAA, les salariés qui, sous l’effet de de stupéfiants, ne sont manifestement plus capables d’effectuer leur travail en toute sécurité, sont à éloigner du poste de travail et, le cas échéant, un examen d'aptitude est à prévoir par le service de santé au travail compétent. Les services de santé au travail collaborent en général lorsque la demande est justifiée.
Rappelons que puisqu’il s’agit d’une infraction, l’employeur peut aussi faire intervenir la police.
Un contrôle préventif ou généralisé de dépistage n’est en aucun cas autorisé.
5) Quels sont les risques particuliers en cas de conduite automobile ?
Même si la consommation privée de cannabis sera partiellement légalisée à l’avenir, les règles sur les taux maxima en cas de conduite d’un véhicule automoteur restent inchangées. Chaque métabolisme est différent, mais en général le taux de THC dans le sang reste pendant plusieurs heures, voire jours au-dessus du seuil légal de 1 nanogramme par millilitre de sang.
Ce taux très bas traduit une tolérance zéro voulue par le législateur. Un consommateur régulier de cannabis ne pourra donc pas occuper un poste impliquant la circulation sur la voie publique. Lorsque l’employeur accepte malgré tout que cette personne prenne le volant pour compte de l’entreprise, il risque d’être lui-même condamné à une amende et à une interdiction de conduire pour avoir toléré cette conduite illégale.
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La consommation de cannabis est de plus en plus répandue au sein de la population active, et le cadre légal sera prochainement adapté dans le sens d’une libéralisation. Pour gérer de façon adéquate les risques qui en découlent, les entreprises doivent mettre en place ou revoir leurs règles et politiques internes, afin que les règles soient claires le jour où un problème concret se posera.
PHILIPPE SCHMIT
Partner
Employment Law,
Pensions & Benefits
JEAN-LUC PUTZ
Partner
Employment Law,
Pensions & Benefits