Les technologies financières sont des actifs intellectuels qui doivent être protégés contre les concurrents. Cette protection, qui se concrétise par la passation de contrats de licence de droits intellectuels, voire par l’initiation d’actions en justice, permet d’encadrer les usages que les concurrents feront de vos technologies et d’empêcher ces derniers de s’approprier vos innovations. Chacun des éléments constitutifs d’une innovation financière – logiciel, plateforme en ligne, base de données, invention – peut être couvert par des droits de propriété intellectuelle, sous certaines conditions. Grâce à quelques reflexes, il est possible d’éviter que vos concurrents n’empiètent sur vos droits et ne tirent indûment profit de votre réussite.
Les technologies financières sont à la une de l'actualité économique. En pleine croissance, elles se sont installées durablement dans le paysage financier. Le crowdfunding, le prêt peer-to-peer, les devises numériques, les paiements électroniques sécurisés et la gestion d'actifs algorithmique en sont quelques-unes des manifestations. Au cœur de ces technologies qui rendent les outils financiers plus efficaces, plus accessibles et moins onéreux se trouvent des innovations. A titre d'exemple, un logiciel open-source novateur et un réseau peer-to-peer sont à l'origine des Bitcoins, la plus célèbre des monnaies cryptographiques. Ces innovations peuvent être protégées par des droits de propriété intellectuelle enregistrés (les marques, les brevets) ou non enregistrés (les droits d'auteur, les bases de données). Pourquoi est -il intéressant de défendre vos technologies financières par la propriété intellectuelle ? Comment s'y prendre ?
1 Les technologies financières, des actifs intellectuels à protéger
Deux raisons doivent vous conduire à protéger vos technologies financières:
- première raison: prévoir et encadrer les usages que feront les concurrents de vos technologies. Les innovations protégées par le droit d'auteur, le droit des marques, le droit des brevets et/ou le droit des bases de données peuvent faire l'objet de contrats de licence, exclusifs ou non, signés avec des personnes souhaitant les exploiter. Les contrats de licence fixent les règles et le prix d'usage des technologies financières, ce qui est un gage de prévisibilité, et le titulaire des droits peut saisir la justice en cas de non-respect de ces règles par le cocontractant;
- deuxième raison: empêcher les concurrents de s'approprier vos innovations. Les technologies financières protégées par des droits de propriété intellectuelle ne peuvent être reproduites ou exploitées impunément par des tiers non autorisés. Le titulaire des droits peut obtenir en justice: la condamnation du contrefacteur à réparer les préjudices qu'il a causés, la cessation des actes de contrefaçon, le retrait du marché des produits contrefaisants ainsi que leur destruction. Mieux encore, en matière de contrefaçon de marque, le juge alloue les dommages et intérêts en tenant compte non seulement des pertes économiques subies par le titulaire des droits, mais également des profits générés par le contrefacteur. A titre d'alternative, il peut allouer une somme globale correspondant au « montant des droits ou redevances qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l'autorisation d'utiliser la marque 1».
2 A chaque innovation sa protection
La technologie qui rend possible les services financiers innovants consiste en des logiciels, des plateformes en ligne, des bases de données et des inventions, protégés par la propriété intellectuelle sous certaines conditions:
Le logiciel est protégé par le droit d'auteur. Le code source, l'interface graphique et le nom du logiciel sont protégés par le droit d'auteur de la même façon qu'une œuvre littéraire et artistique 2. Dans ce cas nul besoin de dépôt, le logiciel est protégé dès lors qu'il est « original », c'est-à-dire qu'il matérialise un effort intellectuel. Les fonctionnalités du logiciel, quant à elles, ne sont pas protégées par le droit d'auteur.
Les algorithmes et les langages de programmation ne sont pas susceptibles de protection, ni par le droit d'auteur3 , ni par le droit des brevets.
Peut-on breveter un logiciel ? La Convention sur le brevet européen4 dispose qu'un programme d'ordinateur n'est pas, en tant que tel, une invention brevetable. A partir de 19865 toutefois, l'Office Européen des Brevets (OEB) a admis que puisse être brevetée une « invention mise en œuvre par ordinateur 6» , à condition qu'elle réponde aux critères classiques de brevetabilité: l'invention doit être nouvelle, impliquer une activité inventive, être susceptible d'application industrielle et ne doit pas être expressément exclue de la protection par brevet (article 52, Convention sur le brevet européen). L'OEB se refuse encore à admettre la brevetabilité de logiciels qui se contentent de mettre en œuvre « des concepts économiques et des pratiques commerciales », tels par exemple un logiciel d'informatisation d'un processus de gestion financière7 ou un logiciel intéressant le seul aspect commercial de la relation client.
La plateforme en ligne, une création multimédia complexe . Un site internet cumule plusieurs qualifications juridiques (base de données, œuvre audiovisuelle, œuvre logicielle, œuvre artistique), il peut par conséquent être protégé dans ses différentes composantes par le droit d'auteur, le droit des bases de données et le droit des marques.
3 Quelques conseils pratiques pour protéger vos innovations
L'audit d'actifs intellectuels: identifiez vos innovations qui peuvent être protégées par un ou des droits de propriété intellectuelle et assurez-vous que les marques et les brevets y afférents ont bien été déposés et renouvelés auprès des offices compétents.
Le réflexe « propriété intellectuelle »: gardez un œil sur les activités de vos concurrents pour vérifier qu'ils n'empiètent pas sur vos droits. Lors de la rédaction des vos contrats, introduisez des clauses de confidentialité et de propriété intellectuelle, prévoyez si nécessaire des sanctions automatiques en cas de manquements (clauses pénales).
Se préconstituer des preuves: l'issue des procès en contrefaçon est bien souvent déterminée par l’existence de preuves. Prenez l'habitude d'archiver vos documents se rapportant au processus de création de vos technologies (plans de l'architecture d'un site internet ou d’un système informatique, logos et identité visuelle, codes sources). Pour dater de façon certaine vos créations, pensez au i-DEPOT auprès de l'Office Benelux de la Propriété Intellectuelle (OBPI), qui est une procédure rapide et peu onéreuse.
Ne laissez pas les contrefacteurs faire la loi: dès l'identification d'une contrefaçon de vos technologies, proposez au contrefacteur de signer un contrat de licence ou saisissez directement la juridiction compétente, en référé si l'urgence le justifie. Vous enverrez ainsi un message fort à ceux qui seraient tentés de tirer indûment profit de votre réussite.
1 Article 2.21, Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins et modèles), approuvée par la loi du 16 mai 2006 (Mém. n°91 du 26 mai 2006, p.1738) et entrée en vigueur au 1er septembre 2006.
2 Article 28-1, loi du 29 mars 1972 sur le droit d'auteur en ce qui concerne la protection juridique des programmes d'ordinateur, modifiée par la loi du 24 avril 1995.
3 Cour de Justice de l'Union Européenne, C-406/10, 2 mai 2012, SAS Institute Inc. / World Programming Ltd.
4 Article 52(2)c) et (3), Convention sur le brevet européen.
5 Office Européen des Brevets, chambre des recours techniques, 15 juillet 1986, affaire T
208/84, Vicom.
6 C'est-à-dire une invention (une solution technique à un problème technique) qui implique l'utilisation d'un ordinateur, d'un réseau informatique ou d'un appareil programmable et dont une ou plusieurs caractéristiques sont réalisées totalement ou partie par un programme
d'ordinateur.
7 Office européen des brevets, chambre des recours, 8 septembre 2000, T 931/95, Pension Benefits Systems.