Le Grand-Duché de Luxembourg est le seul pays de l'Union Européenne ("UE") ne disposant pas de système de contrôle préalable des concentrations. En principe, les acquisitions ne tombent pas dans le champ d'application des règles du droit de la concurrence (prohibition des ententes anti-concurrentielles et des abus de position dominante). Ainsi, une acquisition peut certainement mener à une position dominante mais le simple fait d'atteindre une telle position ne constitue pas à elle seule un abus au sens de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne ("TFUE").
A plusieurs occasions des questions ont été soulevées au sujet de l'applicabilité de la doctrine dénommée Continental Can en l'absence de contrôle préalable des concentrations au Luxembourg. Aux termes de l'arrêt de la Cour européenne de l'UE ("CJUE") dans l'affaire 6/72 Europemballage Corporation et Continental Can Company Inc. contre Commission ([1973] Rec. 2015, paras 26 et 27), une acquisition peut constituer un abus de position dominante lorsque l'acquisition est susceptible de renforcer la position déjà dominante d'une entreprise au point que le degré de domination ainsi atteint "entraverait substantiellement la concurrence".
Décision en date du 17 juin 2016
Dans une récente décision en date du 17 juin 2016, le Conseil de la concurrence luxembourgeois a appliqué pour la première fois la doctrine Continental Can à un cas dans lequel Utopia, le propriétaire de la plupart des complexes cinématographiques au Luxembourg, a acquis un complexe concurrent en difficultés financières. Sur la base de l'arrêt de la CJUE Continental Can, le Conseil de la concurrence a considéré que cette acquisition constituait un comportement susceptible d'être considéré comme un abus de position de dominante dans la mesure où Utopia occupait déjà une position dominante qui allait être renforcée par cette acquisition.
Le Conseil de la concurrence a néanmoins classé sans autres suites la procédure dans la mesure où une telle acquisition n'aurait très probablement pas d'effets anticoncurrentiels, le complexe cinématographique faisant l'objet de l'acquisition étant quoiqu'il en soit en difficultés financières et sur le point de disparaître. De plus, l'acquisition a eu certains effets positifs dans la mesure où elle s'inscrivait dans certains objectifs du TFUE en termes de cohésion sociale et de promotion culturelle.
Conclusions et recommandations
- Le Conseil de la concurrence luxembourgeois est, par principe, déterminé à examiner les transactions renforçant la position dominante de sociétés. En conséquence, les transactions qui ne sont pas examinées par la Commission Européenne dans le cadre du contrôle européen des concentrations entre entreprises (Règlement (CE) No 139/2004) mais qui ont une importance au niveau local, sont susceptibles dans certaines circonstances d'être contrôlées par le Conseil de la concurrence luxembourgeois et ce, même en l'absence d'un régime national de contrôle des concentrations.
- L'affaire Utopia concerne une acquisition réalisée en avril 2013, mise en cause en mars 2015 et sur laquelle il a été statué en juin 2016, soit près de trois années après l'acquisition. Afin de réduire le risque qu'un concurrent ou que tout autre tiers intéressé dépose une plainte auprès du Conseil de la concurrence après clôture de la transaction, il est donc très fortement recommandé d'adopter une démarche proactive et de contacter le Conseil de la concurrence aux prémices de la transaction. Le Conseil de la concurrence a clairement indiqué dans son communiqué de presse relatif à l'affaire Utopia qu'il est prêt à discuter de transactions de type Continental Can. Le Conseil de la concurrence n'a néanmoins pas indiqué si les sociétés peuvent le contacter avant la réalisation de l'acquisition, c’est-à-dire avant qu'un abus n'ait lieu, mais cela nous semble être possible.