06/09/24

Le nouveau Livre 6 du Code civil entre bientôt en vigueur 04 septembre 2024

Le paysage juridique belge est sur le point de subir des changements importants avec l'entrée en vigueur prochaine du Livre 6 du Code civil, prévue pour le 1er janvier 2025. Cette évolution juridique majeure, qui vise à réviser en profondeur les principes entourant la responsabilité extracontractuelle, a pour but de formaliser les normes jurisprudentielles préexistantes tout en mettant en œuvre des changements-clés pour résoudre certaines ambiguïtés juridiques de longue date. Le texte final a été publié au Moniteur Belge le lundi 1er juillet 2024. 
Les dispositions du Livre 6 s’appliquent aux faits susceptibles d’entraîner une responsabilité qui se sont produits après son entrée en vigueur. L’ancien régime reste d’application pour les événements dommageables qui se sont produits avant cette date, même si leurs effets s’étendent après cette entrée en vigueur. 

L’abrogation de deux principes fondamentaux en matiere de responsabilite contractuelle

Historiquement, en l'absence de règles juridiques claires en matière de responsabilité extracontractuelle, la doctrine belge s'est structurée autour de deux principes :  

  1. L’interdiction du concours entre parties contractuelles, telle que confirmée par l’arrêt de principe de la Cour de cassation de 1973. Ce principe a continuellement interdit la possibilité d'intenter des actions en responsabilité extracontractuelle pour les dommages causés par une rupture de contrat, dans le but principal d'éviter que les parties contractantes ne contournent, par la voie extracontractuelle, les limitations de responsabilité contractuellement convenues. Par conséquent, dans ce cadre juridique, les principaux recours laissés aux parties en cas de manquements contractuels restaient du domaine des actions contractuelles, tandis que les actions extracontractuelles étaient considérées comme secondaires. Toutefois, les exceptions à ce principe, notamment en cas d'activités criminelles d'une partie contractante, illustrent l'application complexe de cette doctrine dans divers contextes (par exemple lorsque la violation de l'obligation contractuelle constitue une infraction criminelle ou en résulte). 

  2. La quasi-immunité de l’agent d’exécution, utilisée par certaines parties contractantes (comme les administrateurs, sous-traitants, fournisseurs indépendants, employés, etc) afin d’assurer, dans l’exécution de leurs obligations contractuelles, leur protection contre un recours, qu’il soit contractuel ou extracontractuel, du créancier de leur mandant – si ce n’est dans des circonstances exceptionnelles, principalement le cas d’une activité criminelle. 

Le nouveau Livre 6 abroge ces deux principes :   

  1. Le concours devient la règle, sauf si la loi ou le contrat en disposent autrement – En cas de dommages causés par une rupture de contrat, le nouveau Livre 6 offrira à la partie lésée le choix entre une indemnisation fondée sur la responsabilité contractuelle ou sur la responsabilité extracontractuelle, si les conditions d'application de ces régimes de responsabilité sont réunies. Le nouveau régime permettra par ailleurs au défendeur d'invoquer des limitations contractuelles de responsabilité ou d'autres moyens de défense contractuels dans le cadre d'une réclamation extracontractuelle (avec certaines exceptions). 

  2. Bien que le concours devienne la règle en vertu du Livre 6, il reste de nature complémentaire et les parties peuvent décider de l'interdire explicitement dans leur contrat. Il existe toutefois une exception : si le dommage résulte d'une atteinte à l'intégrité physique ou psychique ou d'une faute commise avec l'intention de causer un dommage, une réclamation extracontractuelle est toujours possible. 

  3. En pratique, cette modification pourrait étendre l'obligation de couverture de l'assureur, tandis que les primes resteraient inchangées pour les assurés. En effet, si l'assureur avait exclu toutes les réclamations pour responsabilité contractuelle, il pourrait néanmoins être tenu de fournir une couverture si le demandeur intentait une action fondée sur une responsabilité extracontractuelle « requalifiée ». Bien que ce risque n'ait pas été pris en compte dans le calcul de la prime, l'abolition de l'interdiction du concours étendrait implicitement l'obligation de couverture. 

  4. Les agents d’exécution ne jouissent plus de la quasi-immunité – Le nouveau Livre 6 abolit le principe de quasi-immunité dès lors qu’il permettra à une partie contractante d'engager la responsabilité directe de l’agent d’exécution de son cocontractant en cas d'erreur dans l'exécution du contrat. 

  5. En ce qui concerne les moyens de défense ouverts à l’agent d’exécution confronté à une action en responsabilité extracontractuelle, le Livre 6 prévoit une double protection, selon laquelle l'agent d’exécution peut généralement invoquer des moyens de défense contractuels provenant à la fois (i) du contrat entre l'agent d’exécution et son donneur d’ordre, et (ii) du contrat entre le donneur d’ordre et son cocontractant (dans la mesure où l'agent d'exécution a connaissance du contenu de ce contrat), ainsi que des moyens de défense provenant de toutes les lois spéciales applicables à ces contrats. En outre, il est possible d'exclure contractuellement la responsabilité extracontractuelle de l'agent d'exécution. 

  6. Si ce dernier commet une faute, soit avec l'intention de causer un dommage, soit qui cause un dommage résultant d'une atteinte à l'intégrité physique ou psychique, il ne pourra pas invoquer les moyens de défense contractuels provenant à la fois (i) du contrat entre l'agent d'exécution et son donneur d’ordre, et (ii) du contrat entre le donneur d’ordre et son cocontractant.  

L’impact du nouveau livre 6 du code civil sur la responsabilite extracontractuelle des administrateurs

L’abrogation de la quasi-immunité de l’agent d’exécution a un impact direct sur les administrateurs de sociétés, car ces derniers agissent en tant qu'agents d’exécution de cette société dans le cadre de l'exécution du “contrat” conclu avec celle-ci. Par le passé, les administrateurs étaient en principe protégés contre les actions en responsabilité d'une partie contractante de la société pour les fautes commises par l’administrateur dans l'exécution de ses obligations et ce, en raison du principe de quasi-immunité. En vertu du nouveau Livre 6, les administrateurs seront désormais exposés au risque d'actions en responsabilité directe de la part des cocontractants de la société pour des erreurs commises dans l'exécution du contrat, en plus du risque de responsabilité des administrateurs à l'égard de la société dont ils sont administrateurs.   

Ce risque accru doit toutefois être nuancé. Comme indiqué précédemment, les administrateurs bénéficieront des mécanismes de protection inclus dans le contrat entre la société et le tiers, ainsi que dans la relation contractuelle entre l'administrateur et la société, y compris les mesures de protection du Code des sociétés et des associations (ci-après, le CSA), qui régit la relation contractuelle entre une société et ses administrateurs et qui aura priorité d’application sur le Livre 6.  

Le CSA comprend un ensemble de règles relatives à la responsabilité des administrateurs, y compris plusieurs limitations de la responsabilité des administrateurs. En particulier, les administrateurs ne peuvent être tenus responsables à l'égard d'un tiers pour les fautes commises dans l'exercice de leurs fonctions que dans la mesure où ces erreurs sont de nature extracontractuelle. En outre, les administrateurs ne sont responsables que des décisions ou des actes qui dépassent manifestement le cadre de ce que l'on peut raisonnablement attendre d'un administrateur normalement prudent et diligent dans les mêmes circonstances. Du reste, le CSA prévoit un plafond de responsabilité des administrateurs pour certaines fautes.  

Bien que le CSA limite la responsabilité des administrateurs, il convient de noter qu’il stipule explicitement que la responsabilité des administrateurs ne peut être limitée au-delà de ce qu’il prévoit. Il interdit à une société d'accorder d’avance une exonération totale de responsabilité à ses administrateurs, tant en ce qui concerne la responsabilité à l'égard de la société qu’à l'égard des tiers.   

Enfin, les assurances des administrateurs et des dirigeants (« D&O ») pourraient jouer un rôle crucial dans l'atténuation du risque accru de responsabilité des administrateurs à la suite du Livre 6 – bien que d'éventuelles renégociations de ces assurances puissent être nécessaires. 

L’impact du nouveau Livre 6 du Code Civil sur la responsabilité extracontractuelle des travailleurs

Dans le cadre juridique actuel, deux fondements juridiques limitent la responsabilité des travailleurs. D'une part, il existe le principe général de quasi-immunité de l’agent d’exécution, comme expliqué ci-dessus. D'autre part, l'article 18 de la loi relative aux contrats de travail (ci-après, la LCT) prévoie qu’en cas de dommage causé à l'employeur ou à des tiers dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, le travailleur n'est responsable que de son dol, de sa faute lourde ou de sa faute légère habituelle. Cela signifie que le travailleur n’est pas responsable de fautes légères accidentelles. Cet article 18 de la LCT s'applique à la fois à la responsabilité civile contractuelle et à la responsabilité civile extracontractuelle.  

L’article 18 prévoit donc une restriction « relative » (avec différents concepts qui sont sujets à interprétation), alors que le principe de quasi-immunité de l’agent d’exécution empêche les réclamations contre les travailleurs d'une manière beaucoup plus « absolue ».  Par conséquent, la responsabilité civile d'un entrepreneur causée par son travailleur est actuellement résolue par relation contractuelle : (i) le mandant peut tenir l’entrepreneur responsable et (ii) l'entrepreneur-employeur peut se retourner contre son travailleur, sous réserve des limitations de l'article 18 de la LCT.  

Avec l'entrée en vigueur des nouvelles règles, il sera désormais possible pour les mandants de tenir responsable les travailleurs d'un contractant (dits « auxiliaires ») sur une base extracontractuelle. 

Les travailleurs confrontés à de telles réclamations disposeront de trois lignes de défense : 

  1. Le travailleur peut toujours déclarer que son manquement est léger et accidentel (quel que soit le type de dommage causé) et qu'il n'est donc pas responsable (application de l'article 18 de la LCT). 

  2. Les clauses du contrat entre l'employeur et son mandant pourraient prévoir des clauses exonératoires de responsabilité (qui sont présumées avoir été conclues au profit du travailleur si elles ne sont pas explicitement rédigées dans ce sens). Si l'employeur veut optimiser les moyens de défense de ses travailleurs, il est recommandé de préciser qu'ils ne peuvent être tenus responsables par le mandant sur une base extracontractuelle.  

  3. Les clauses du contrat de travail : en raison de la formulation spécifique de l'article 18 LCT, il existe un débat juridique concernant l’intégration d’une clause exonératoire de responsabilité au profit du travailleur dans un contrat de travail. Sur la base des travaux préparatoires, qui font référence à l'objectif de protection du travailleur, il existe de solides arguments juridiques selon lesquels seules les aggravations de la responsabilité du travailleur sont exclues par l'article 18, de sorte que les clauses exonératoires de responsabilité sont effectivement permises.  

PROCHAINES ETAPES – Si le Livre 6 élargit le champ d'application des demandes d'indemnisation à l'encontre des agents d’exécution, il reste à voir comment ces développements se manifesteront dans la pratique. 

  1. En ce qui concerne les actions contre les administrateurs de société, il faudra voir comment le Livre 6 interagira en pratique avec le régime du CSA relatif à la responsabilité des administrateurs (lex specialis du Code civil) et s'il conduira effectivement à un risque plus élevé de responsabilité pour les administrateurs. Les assurances D&O devront peut-être aussi être renégociées pour couvrir ce risque accru. 

  2. En ce qui concerne les actions à l'encontre des travailleurs, l'avenir nous dira si elles deviendront plus fréquentes. Les mandants peuvent en effet avoir des raisons de faire valoir de telles réclamations à l'égard des travailleurs, par exemple pour faire pression sur la partie avec laquelle ils ont une relation commerciale (l'employeur) ou simplement pour épuiser toutes leurs possibilités de recours juridique. Mais il existe également diverses raisons de s'abstenir de faire valoir de telles réclamations. Notamment, les travailleurs sont en général bien évidemment beaucoup moins solvables que leurs employeurs. 

  3. Néanmoins, il est recommandé aux employeurs de tenir compte d’une éventuelle responsabilité extracontractuelle de leurs travailleurs lors de la rédaction et de la négociation des contrats commerciaux et des contrats de travail. Si l'intention est d'exonérer les travailleurs de cette responsabilité autant que possible, des clauses exonératoires (sous réserve des exigences de l'article 5.89 du Code civil) peuvent - mais ne doivent pas nécessairement - être incluses dans les deux types de contrats. 

L’impact du nouveau livre 6 du code civil sur la responsabilité pour autrui

Le Livre 6 introduit un nouveau régime de responsabilité pour les mineurs. D'une part, un mineur de moins de douze ans n’est pas responsable du dommage causé par sa faute. D'autre part, les mineurs de douze ans et plus sont responsables du dommage causé par leur faute ou par tout autre fait générateur de responsabilité, à moins que les cours et tribunaux, à leur discrétion, ne limitent la réparation ou ne la déclarent indue. Toutefois, lorsque la responsabilité du mineur est couverte par un contrat d’assurance, le mineur est tenu de payer une indemnité complète qui ne peut être limitée à un montant inférieur à celui couvert par le contrat d'assurance. Il en résulte que l'assureur est lié par l'indemnité dont le mineur est redevable ou par la limite de garantie prévue par le contrat d'assurance. 

En outre, le Livre 6 introduit une responsabilité objective pour le titulaire de l’autorité sur la personne du mineur de moins de seize ans. Par conséquent, dans le futur cadre législatif et contrairement au droit actuel, la responsabilité ne pourra plus être renversée par la preuve d'une bonne éducation ou d'une surveillance attentive. Cependant, la responsabilité pour les dommages causés par des mineurs de plus de seize ans pourra être renversée s’il est démontré que le dommage ne trouve pas sa cause dans une faute de surveillance. 

Parallèlement, le Livre 6 crée une présomption réfragable de responsabilité dans le chef des personnes chargées de la surveillance d'autrui (grands-parents, associations sportives, etc.). 

Comme ce qui précède augmente sensiblement la responsabilité des titulaires et des responsables, le législateur avait, dans la proposition de loi, rendu obligatoire la souscription d'une assurance responsabilité civile par les personnes visées. L'introduction d'une assurance familiale obligatoire n'a finalement pas été retenue dans le texte final. 

L’impact du nouveau livre 6 du Code Civil sur la réparation des dommages

Le livre 6 codifie les différents types de dommages et confirme deux principes fondamentaux du droit belge : le principe de la réparation intégrale (tous les dommages subis peuvent faire l’objet d’une indemnisation) et celui de la réparation objective (le dommage doit être quantifié concrètement). Il s'agit d'une confirmation de la fonction indemnitaire du droit belge de la responsabilité. Pour rappel, contrairement aux pays anglo-saxons, le droit belge ne prévoit pas d’indemnisation complémentaire en plus du dommage réellement subi (lesdits dommages et intérêts punitifs). La codification susmentionnée confirme les principes dominants auxquels sont confrontés tant la partie lésée que le défendeur dans l’évaluation de leur action en dommages-intérêts. 

En outre, le Livre 6 prévoit un élargissement de l'indemnisation en vertu duquel la partie lésée, qui a été indemnisée pour des dommages résultant d'une atteinte à son intégrité physique, peut demander des dommages-intérêts complémentaires pour un nouveau dommage ou l’aggravation du dommage résultant de la même atteinte mais (i) qui n’ont pas encore été pris en compte et (ii) dont elle ne pouvait raisonnablement pas avoir connaissance au moment de la décision du juge ou du règlement extrajudiciaire. Aussi, dans les limites du délai de prescription, une partie lésée peut donc revenir devant le juge pour obtenir réparation d’un dommage non pris en compte lors d’une première indemnisation ou d’une aggravation de son dommage initial, lorsque ces circonstances étaient imprévisibles au moment de la décision du juge ou du règlement extrajudiciaire initial.  

La victime ne peut renoncer à ce droit. Dès lors, la question se pose de savoir comment la disposition susmentionnée affectera les transactions, d'autant plus que la conclusion d’une transaction vise à mettre fin au litige de manière définitive. 

L’impact du nouveau livre 6 du code civil : bientôt un moyen d’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant

C’est l’un des plus grands changements apportés par le Livre 6 pour le secteur immobilier : le maître de l’ouvrage disposera à compter du 1er janvier 2025 de la possibilité de se retourner directement contre le sous-traitant, ce qui lui était refusé jusqu’à présent. 

L’abrogation de la quasi-immunité de l’auxiliaire (autrefois appelé l’agent d’exécution) empêchait le maître de l’ouvrage de disposer d’un pareil moyen d’action directement à l’égard du ou des sous-traitants. À l’inverse, sur la base de l’article 1798 de l’ancien Code civil, les sous-traitants disposent déjà d’une pareille action directe à l’égard du maître de l’ouvrage. 

À l'heure actuelle, le maître d'ouvrage ne dispose généralement que de très peu de possibilités pour intenter une action contre un sous-traitant auquel l'entrepreneur principal a confié tout ou partie de ses propres travaux. 

Contrairement au sous-traitant, qui dispose d'une action directe contre le maître d'ouvrage en vertu de l'article 1798 de l'ancien Code civil, le maître d'ouvrage ne peut intenter une action contre le sous-traitant sur la base de la responsabilité extracontractuelle qu'à deux conditions strictes : 

  1. Il faut, tout d’abord, que le sous-traitant commette non seulement un manquement à une obligation contractuelle mais aussi un manquement à un devoir de diligence qui s’imposerait à tous ; et que 

  2. Ce manquement cause un préjudice distinct de celui causé par le manquement contractuel. 

À défaut de répondre à ces deux conditions – rarement remplies en pratique – il est impossible pour un maître de l’ouvrage de poursuivre l'agent d'exécution (par exemple, le sous-traitant) sur base extracontractuelle. 

Actuellement, le maître de l’ouvrage se trouve dès lors démuni en cas de faillite de l’entrepreneur principal car il ne peut se retourner contre les sous-traitants de son cocontractant défaillant. 

Notons toutefois que dans le Livre 5, déjà entré en vigueur le 1er janvier 2023, l’article 5.110 prévoit désormais qu’une action directe puisse être accordée par la loi en des termes très généraux. Cette disposition ouvre la porte à d’autres actions directes et des discussions sont également en cours au sujet des actions directes dans le cadre de la rédaction de la proposition de loi relative au Livre 7 (« Contrats spéciaux »). À ce stade, toutefois, seule l’action directe de l’auxiliaire serait prévue dans ce cadre (cf. art. 7.4.31 C. civ.). 

Le Livre 6 prévoit une avancée remarquable à ce sujet dans son article 6.3 qui dispose que : 

  • Il est mis fin à l’interdiction actuelle de concours des responsabilités contractuelles et extracontractuelles en consacrant la liberté de choix des parties entre les deux systèmes de responsabilité (contractuelle et extracontractuelle) (§ 1) ; 
  • L’abrogation de cette interdiction ouvre la voie à la responsabilisation des agents d’exécution (appelés à présent auxiliaires) à l’égard du créancier de leur donneur d’ordre (§ 2). 

Plus particulièrement, la responsabilité d’un sous-traitant pourrait, sur cette base, être mise en cause directement par le maître de l’ouvrage.  

Comme tempérament, le législateur prévoit que le sous-traitant (ou plus généralement l’auxiliaire) pourra invoquer un double niveau de moyens de défense, tout d’abord tirés de son propre contrat, et ensuite tirés du contrat principal conclu entre le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur principal.  

Un exemple fourni par l'exposé des motifs illustre l’importance de cette nouveauté pour le secteur de la construction : 

« Un sous-traitant incompétent construit un toit qui s’envole lors d’une légère tempête. Le maître d’ouvrage qui a contracté avec l’entrepreneur principal, qui a depuis fait faillite, ne pourrait donc même pas invoquer contre le sous-traitant des fautes techniques graves que celui-ci aurait commises, sauf si une norme sanctionnée pénalement a été violée (…) » (Doc. Parl,. 55-3213/001, p. 33). 

Quelques points d’attention pratiques : 

  • La première difficulté réside dans le fait qu’en principe, les sous-traitants pourront invoquer les mêmes moyens de défense que l’entrepreneur principal à l’égard du maître de l’ouvrage. Ainsi, si le contrat entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur principal contient une clause d'exonération de certaines erreurs d'exécution, le sous-traitant pourra également l'invoquer à l'encontre du maître de l’ouvrage. L’article 6.3. du Code civil cherche ainsi à établir une solution plus équilibrée que la quasi-immunité qui existe(ait) dans la relation juridique entre le créancier-client principal et l'auxiliaire. La négociation des futures clauses exonératoires dans les contrats de construction devra prendre en compte leur impact potentiel également à l’égard des sous-traitants. 
  • Par ailleurs, pour pouvoir invoquer des moyens de défense tirés du contrat principal, il faut que le sous-traitant-auxiliaire ait connaissance des dispositions contractuelles applicables entre le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur principal, ce qui est rarement le cas. À ce sujet, le législateur reste muet. Dans quelle mesure le sous-traitant peut-il exiger la production du contrat principal ? Quel sera ici l’impact des clauses de confidentialité prévues dans ces contrats ? Cette question devra être tranchée par le juge à défaut d’avoir été anticipée par les parties. 

Rappelons donc que ces difficultés pratiques peuvent être évitées puisqu’il s’agit ici d’un régime supplétif : les parties peuvent y déroger dans leurs contrats, et ce dès à présent. Les parties en négociation actuellement peuvent anticiper l’entrée en vigueur prochaine du Livre 6 puisque ses dispositions sont d’ores et déjà connues. 

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