La Cour de cassation rappelle dans un arrêt récent qu’il ne peut y avoir de cession de droits sur un logiciel en l’absence de clause écrite claire et précise.
Lorsqu’une entreprise passe commande pour une prestation intellectuelle, devient-elle automatiquement titulaire du produit qu’elle a commandé ? La réponse n’est pas évidente et la prudence s’impose : ce n’est pas parce qu’un prix a été payé qu’elle obtient un droit illimité d’exploiter le produit.
Les règles ne sont pas les mêmes pour tous les droits de propriété intellectuelle : brevets, marques, modèles et dessins, la propriété littéraire et artistique, etc. Cette dernière catégorie englobe non seulement les droits d’auteur au sens classique, mais également les droits sur les logiciels informatiques et les bases de données.
Le 12 janvier 2023, la Cour de cassation vient d’apporter une réponse claire en matière de cession des droits sur un logiciel informatique. Était en cause un logiciel dénommé « Socrates » utilisé par un syndicat luxembourgeois. Une société informatique réclamait le paiement de factures pour l’utilisation du logiciel en argumentant avoir racheté ce logiciel auprès d’une première société informatique qui l’avait développé. Le syndicat s’y opposait en argumentant qu’il avait racheté tous les droits en ayant intégralement financé le développement initial.
Bien qu’aucun contrat afférent n’ait été signé, la Cour d’appel a considéré que le syndicat était ainsi devenu « propriétaire de la copie du logiciel » qu’il utilise en s’étant fait remettre initialement une copie matérielle du programme installé sur son parc informatique.
Ce raisonnement a déplu à la Cour de cassation qui rappelle les termes de la loi de 2011 sur les droits d’auteur selon lesquels « A l’égard de l’auteur, la cession et la transmission de ses droits patrimoniaux se prouvent par écrit et s’interprètent restrictivement en sa faveur. »
Elle en déduit que la cession et la transmission des droits patrimoniaux de l’auteur se prouvent à son égard par écrit, la sanction étant qu’en l’absence d’écrit, l’auteur est considéré comme n’ayant pas cédé ses droits, cette règle s’appliquant à toutes les cessions de droits, même lorsqu’il s’agit de programmes créés sur commande ou sous contrat d’emploi.
Par conséquent les juges d’appel ne pouvaient, en l’absence d’écrit, arriver à la conclusion qu’il y aurait eu cession d’un quelconque droit sur le logiciel.
Ce litige s’inscrit dans une véritable épopée judiciaire, puisqu’il était précédé d’une instance en saisie-description, et qu’un précédent arrêt d’appel avait déjà subi cassation. Le second arrêt de la Cour d’appel ayant subi le même sort, ce sera donc une troisième composition de la Cour d’appel qui devra connaître de la suite. La lecture de l’arrêt de cassation laisse présager que le résultat ne sera cette fois-ci pas le même.
Cet arrêt rappelle l’importance de veiller à ce que tout contrat qui porte, en tout ou en partie, sur des droits de propriété intellectuelle, contienne des clauses précises et détaillées sur la portée des droits qui sont accordés ou cédés. Lors des négociations, les parties devront clarifier s’il s’agit d’une cession de droits ou d’une simple licence, si elle est exclusive ou non, si une sous-licence est autorisée, quelle est la durée de l’accord, etc.
La Cour de cassation se réfère aussi explicitement aux programmes « créés sous contrat d’emploi », donc ceux créés par un salarié dans l’exercice de son travail.
Dans la relation de travail, la situation est cependant tempérée puisque la loi sur les droits d’auteur prévoit une exception pour les programmes d’ordinateur : lorsqu’ils sont créés par un employé dans l’exercice de ses fonctions, seul l’employeur peut exercer les droits patrimoniaux afférents.
En revanche, cette dérogation ne s’applique pas à tous autres droits d’auteur, par exemple sur des textes, des photos, des graphismes, des plans, des vidéos, etc.
A titre d’illustration, un litige [1] avait opposé une maison de presse à un de ses salariés photographes, qui, après avoir été licencié, s’opposait à ce que ses photos continuent à être utilisées dans des publications. Les juges ont rappelé que le contrat de travail n’emporte pas de cession automatique. En l’absence de clause explicite dans le contrat de travail, les photos restaient la propriété intellectuelle du salarié licencié. L’ex-employeur a ainsi été contraint de payer la somme de 4.600 euros pour 184 photos réutilisés, ainsi que 2.000 euros à titre de préjudice moral.
Non seulement pour les contrats commerciaux, mais également dans les contrats de travail il importe donc de s’assurer de la présence et de la précision de clauses qui évitent des litiges.
Pour consulter la décision de la Cour de cassation, cliquez ici_
Jean-Luc Putz, Partner
Astrid Wagner, Partner
[1] TA Lux. civ. 10 mars 2009, n° 111601.