Le 25 mai dernier a été déposé à la Chambre des Députés le projet de loi 6437 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, portant transposition de la Directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales1 et portant modification de la loi modifiée du 18 avril 2004 relative aux délais de paiement et aux intérêts de retard.
S'inscrivant dans le cadre de la mise en œuvre du Small Business Act 2, la Directive 2011/7/UE vise à renforcer la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales afin d'assurer le bon fonctionnement du marché intérieur et en améliorant ainsi la compétitivité des entreprises. A cet effet, la Directive 2011/7/UE reprend et modifie de façon substantielle un certain nombre de points de la Directive 2000/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. Dans un souci de clarté, le législateur européen a procédé à une refonte des dispositions de la Directive 200/35/CE qui ont donc été reprises dans la Directive 2011/7/UE, la Directive 2000/35/CE étant formellement abrogée.
Le législateur européen est parti du constat que les retards de paiement constituent une violation du contrat qui est devenue financièrement intéressante pour les débiteurs dans la plupart des Etats membres, en raison du faible niveau ou de l'absence des intérêts pour retard de paiement facturés et/ou de la lenteur des procédures de recours3. Dans le but d'instaurer une culture de paiement rapide, la Directive 2011/7/UE prévoit quelques nouvelles mesures concernant les transactions commerciales entre entreprises ou entre des entreprises et des pouvoirs publics, que le législateur luxembourgeois projette d'intégrer dans son arsenal législatif.
Les principales dispositions innovantes du projet de loi sont les suivantes.
Tout d'abord, concernant les transactions commerciales entre entreprises, la Directive 2011/7/UE établit comme règle générale le plafonnement des délais de paiement fixés par contrat à 60 jours, en règle générale. Cependant, dans certaines circonstances, il est possible que les entreprises aient besoin de délais de paiement plus longs, par exemple si elles souhaitent accorder des crédits commerciaux à leurs clients. Il devrait donc demeurer possible, pour les parties contractantes, de convenir explicitement de délais de paiement supérieurs à 60 jours, pourvu toutefois que cette prolongation ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier (art.4 du projet de loi).
Ensuite, pour les transactions commerciales où le débiteur est un pouvoir public, la Directive 2011/7/UE prévoit des délais de paiement n'excédant pas 30 jours, à moins qu'il ne soit expressément stipulé autrement par contrat et pourvu que cette dérogation soit objectivement justifiée par la nature particulière ou par certains éléments du contrat. Ce rallongement ne peut en tout état de cause pas excéder 60 jours (art. 5 du projet de loi).
Il convient par ailleurs de relever que le présent projet de loi n'entend pas faire usage de l'option prévue à l'article 4(4) de la Directive 2011/7/UE permettant aux Etats membres de prolonger, sous certaines conditions, le délai légal de paiement jusqu'à un maximum de soixante jours pour les pouvoirs publics qui exercent des activités économiques à caractère industriel ou commercial consistant à offrir des marchandises ou des services sur le marché en qualité d'entreprise publique d'une part, pour les entités publiques dispensant des soins de santé, d'autre part. « En effet, guidé par le principe « Think small first » ou « Priorité aux PME » consacré dans la communication de la Commission européenne du 25 juin 2008 intitulée « Small Business Act », il a été jugé important de restreindre les impacts négatifs sur les liquidités et la gestion financière des entreprises par le renforcement des exigences en matière de ponctualité des paiements lors des transactions commerciales »4 .
En tout état de cause, que ce soit dans le cadre de transactions commerciales entre entreprises ou entre entreprises et pouvoir public, l'entreprise créancière pourra désormais réclamer des intérêts de retard, sans qu'aucun rappel ne soit nécessaire lorsqu'elle aura rempli ses obligations contractuelles et légales, et qu'elle n'aura pas reçu le montant dû à l'échéance, sauf si le débiteur n'est pas responsable du retard (art. 4 et art. 5 du projet de loi).
En cas de retard de paiement, cette disposition importante devrait permettre au créancier de facturer des intérêts pour retard de paiement sans donner aucune notification préalable de non-paiement ni aucune autre notification similaire au débiteur pour lui rappeler son obligation de payer.
Le projet de loi prévoit également lorsque les intérêts pour retard de paiement sont exigibles dans les transactions commerciales entre entreprises et entre entreprises et pouvoirs publics, la faculté pour l'entreprise créancière de solliciter un montant forfaitaire de 40 euros, à titre d'indemnisation pour les frais de recouvrement. Il s'agit de couvrir les coûts administratifs et les coûts internes encourus du fait de retards de paiement. Concernant le montant forfaitaire, le présent projet de loi a repris le montant de quarante euros cité dans la directive 2011/7/UE.
Outre le droit au paiement d'un montant forfaitaire pour les frais internes de recouvrement, le créancier doit également avoir droit au remboursement des autres frais de recouvrement encourus du fait du retard de paiement du débiteur. Ces frais devraient inclure, en particulier, les frais exposés par le créancier pour faire appel à un avocat ou à une société de recouvrement de créances (art. 6 du projet de loi).
Il convient encore de souligner que l'article 2 du présent projet de loi donne une définition nouvelle des « intérêts légaux pour retard de paiement » : ce sont « les intérêts simples pour retard de paiement dont le taux est égal à la somme du taux de référence et de huit points de pourcentage. Le taux applicable des intérêts légaux pour retard de paiement est publié au début de chaque semestre au Mémorial ». La marge à ajouter au taux de référence a, conformément à l'article 2, paragraphe (6) de la Directive 2011/7/UE, été augmentée d'un point de pourcentage par rapport à celui prévu dans la loi modifiée du 18 avril 2004. Cette marge pourra être augmentée par règlement grand-ducal dans la mesure où l'article 2, paragraphe (6) de la Directive 2011/7/UE parle de « huit points de pourcentage au moins » au dessus du taux de référence de la BCE.
En dernier lieu, le projet de loi introduit une nouvelle section 5 - Clauses contractuelles et pratiques abusives, dans la loi modifiée du 18 avril 2004 (art. 6 du projet de loi), définissant la notion d'abus manifeste. Cette disposition vise à interdire l'abus de la liberté contractuelle au détriment du créancier que ce soit dans les transactions commerciales entre entreprises mais aussi entre entreprises et pouvoirs publics. Dès lors, lorsqu'une clause d'un contrat ou une pratique concernant la date ou le délai de paiement, le taux de l'intérêt pour retard de paiement ou l'indemnisation pour les frais de recouvrement, constitue un abus manifeste à l'égard du créancier, le magistrat présidant la Chambre du tribunal d'arrondissement siégeant en matière commerciale, ou le juge qui le remplace, pourra ordonner la cessation de l'utilisation de telle clause contractuelle ou pratique.
La nouveauté consiste en ce que la Directive 2011/7/UE a introduit des critères permettant de déterminer si une clause contractuelle ou une pratique constitue un abus manifeste à l'égard du créancier. Pour déterminer si une clause contractuelle ou une pratique constitue un abus à l'égard du créancier, « tous les éléments de l'espèce sont pris en considération, y compris :
Tout écart manifeste par rapport aux bonnes pratiques et usages commerciaux, contraire à la bonne foi et à un usage loyal ;
La nature du produit ou du service ; et
Si le débiteur a une quelconque raison objective de déroger au taux d'intérêt légal pour retard de paiement, aux délais de paiement visés à l'article 3, paragraphe (4), à l'article 4, paragraphe (3), alinéa 1, à l'article 4, paragraphe (4), et à l'article 4, paragraphe (5),ou au montant forfaitaire visé à l'article 5, paragraphe (1) ».
En outre, le paragraphe (2) de l'article 6 de la Directive 2011/7/UE établit même une présomption d'abus manifeste, lorsqu'une clause contractuelle ou une pratique exclut le versement d'intérêts pour retard de paiement ou exclut l'indemnisation pour les frais de recouvrement.
A titre de conclusion, il faut encore noter que le législateur européen invite les Etats membres à encourager le recours à la médiation et aux autres modes alternatifs de règlement des confits, afin de faciliter le respect des dispositions de la présente Directive consacrée à la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales.
Finalement, pour paraphraser l'exposé des motifs, on peut espérer que ces outils complémentaires permettront aux créanciers de faire valoir efficacement leurs droits en cas de retard de paiement aussi bien à l'égard d'autres entreprises que des pouvoirs publics, et donc d'améliorer la situation de trésorerie des entreprises luxembourgeoises, ce qui est d'autant plus important en ces temps de situation économique incertaine.
1 Aux termes de l'article 12 de la Directive, il est prévu que la transposition dans le droit de chaque Etat membre doit intervenir au plus tard le 16 mars 2013.
2 Dans sa communication du 25 juin 2008 COM (2008) 394, intitulée « Think Small First : Priorité aux PME - Un Small Business Act pour l'Europe », la Commission souligne l'importance de faciliter l'accès des petites et moyennes entreprises (PME) au financement et de développer un environnement juridique et commercial favorisant la ponctualité des paiements lors des transactions commerciales. Il convient de noter que les pouvoirs publics exercent une responsabilité particulière à cet égard.
3 « Un tournant décisif visant à instaurer une culture de paiement rapide, au sein de laquelle une clause contractuelle ou une pratique excluant le droit de réclamer des intérêts devrait toujours être considérée comme étant manifestement abusive, est nécessaire pour inverser cette tendance et pour décourager les retards de paiement. Ce tournant devrait aussi inclure l'introduction de dispositions particulières portant sur les délais de paiement et sur l'indemnisation des créanciers pour les frais encourus et devrait prévoir, notamment, que l'exclusion du droit à l'indemnisation pour les frais de recouvrement est présumée être un abus manifeste » (Considérant 12 de la Directive 2011/7/UE).
4 Exposé des motifs du projet de loi n° 6437, p. 6.