23/01/20

Actualité de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme

L’année 2019 a été marquée pour les sociétés luxembourgeoises par la mise en place du registre des bénéficiaires effectifs (le « RBE »), mis en place par la loi du 13 janvier 2019, entrée en vigueur le 1er mars 2019. A partir du 30 novembre 2019, toutes les sociétés sont désormais censées avoir déclaré leur(s) bénéficiaire(s) effectif(s). Néanmoins, si la mise en place du RBE (I) a monopolisé l’attention des professionnels au Luxembourg, ce sujet n’est pas le seul qui mérite d’être analysé (II). Par ailleurs, les derniers développements au niveau européen promettent une actualité riche dans les mois et les années à venir (III).


I.    La mise en place du RBE

Pour rappel, le RBE a pour objectif de centraliser et de conserver les données concernant les bénéficiaires effectifs (personnes physiques) de toutes les entités immatriculées au Registre de Commerce et des Sociétés, à l’exception des commerçants personnes physiques.

Les entités doivent renseigner électroniquement les nom, prénom, nationalité, date et lieu de naissance, l’adresse privée ou professionnelle, le numéro d’identification ainsi que la nature et l’étendue des intérêts effectifs détenus et se doivent de tenir à jour les informations concernant leur(s) bénéficiaire(s) effectif(s) et faire les modifications nécessaires auprès du RBE.

Des amendes pénales allant de 1.250 euros à 1.250.000 euros sont prévues en cas de défaillance déclarative.

Cependant les obligations créées par la loi du 13 janvier 2019 ne concernent pas seulement les entités susmentionnées, la loi prévoit en effet que toute personne disposant d’un accès aux informations du RBE (l’adresse et le numéro d’identification ne sont pas disponibles publiquement) est tenue d’informer le gestionnaire dès qu’elle constate soit l’existence de données erronées ou le défaut de tout ou partie des données, soit le défaut d’une inscription, d’une modification ou d’une radiation, dans un délai de trente jours à partir de cette constatation. 

Selon le Ministère de la Justice, au 11 décembre 2019, 87 % des entités actives ont effectué les inscriptions requises (en décomptant les entités qui ne sont plus actives au RCS depuis plus de 10 ans). « Ce taux est très élevé pour un registre nouvellement créé, notamment en comparaison avec le taux d’inscription d’autres pays. »1  

Le relevé des entités qui ne se sont pas conformées à la loi sera transmis par le gestionnaire du RBE (Luxembourg Business Registers ou LBR) au Parquet.

Par ailleurs, toujours selon le Ministère de la Justice, « le  LBR va initier à partir de janvier la procédure de l’article 18 du règlement grand-ducal du 19 décembre 2003 portant exécution de la loi sur le Registre de commerce et des sociétés qui permet de radier d’office du registre de commerce et des sociétés les personnes morales et entités dont aucun dépôt n’a été effectué depuis dix ans. Ceci permettrait de sortir du RCS toutes les entités qui sont inactives. Il s’agit d’une radiation administrative et actuellement 18.508 entités sont concernées. La procédure se fera dans le respect de la procédure administrative non contentieuse, à savoir que les entités concernées seront informées au préalable et pourront présenter leurs observations et/ou régulariser leur situation. Dans une étape ultérieure ces entités pourront éventuellement être l’objet d’une mesure de dissolution administrative sans liquidation prévue dans le cadre du projet de loi 6539 relative à la préservation des entreprises et portant modernisation du droit de la faillite. »2

II.    Le Registre des fiducies et les obligations en matière de conservation des informations

Le 10 décembre 2019, la Chambre de Commerce a émis un deuxième avis suite aux amendements gouvernementaux relatifs au projet de loi n°7216B instituant un registre des fiducies et portant transposition de l’article 31 de la directive (UE) 2015/849. Le projet de loi modifié avait été publié le 23 octobre 2019. Il prévoit la création d’un registre des fiducies, similaire au RBE, ainsi qu’un renforcement des obligations concernant les informations qui doivent être obtenues et conservées au lieu d’administration du trust exprès ou de la fiducie, par les trustees et les fiduciaires sur les bénéficiaires effectifs de tout trust exprès administré au Luxembourg3, abrogeant par la même et dans un souci de clarté, la loi du 10 août 2018 relative aux informations à obtenir et à conserver par les fiduciaires.

La Chambre de Commerce reprend, tout d’abord, l’objection faite par l’Association des Banques et Banquiers, Luxembourg (ABBL, avis du 4 novembre 2019) concernant le risque que les contrats d’assurance-vie puissent être assimilés aux trusts et fiducies, en vertu des sous paragraphes (1) à (3) du paragraphe 2 de l’article 1er du projet de loi modifié. 

La Chambre de Commerce rappelle que les « établissements financiers sont déjà soumis aux règles d’identification des bénéficiaires d’assurance vie/autres types d’assurances liées à des placements en vertu de l’article 3 (2ter) de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme » et précise que « le mécanisme de l’assurance-vie, régi par un cadre législatif très précis, ne correspond en rien au contrat fiduciaire. » La Chambre de Commerce propose donc d’exclure explicitement du projet de loi l’assurance-vie et les autres types d’assurances liées à des placements.

La Chambre de Commerce recommande plus généralement une clarification de certaines notions et « se demande à quelle source de droit il conviendrait de se référer pour définir des concepts juridiques qui ne sont pas connus en droit luxembourgeois, comme par exemple la notion de constituant (settlor ou grantor) ou la notion du protecteur. »

Enfin, la Chambre de Commerce indique la nécessité, selon elle, de préciser les délais (en remplacement des termes « délai raisonnable » ou « sans délai ») dans le projet de loi et fait part de ses « incertitudes quant aux obligations imposées (…) puisque certaines d’entre elles comprennent les termes comme « notamment » ou « y compris » laissant ainsi le champ libre à l’interprétation. » Elle poursuit :  « s’agissant d’obligations pénalement sanctionnées, ces formulations ne répondent pas aux exigences de précision et de prévisibilité nécessaires. La Chambre de Commerce s’interroge quant à savoir si ces dispositions ne se heurtent pas au principe de légalité de la peine. » Reste à savoir si le législateur tiendra compte de ces observations pour la transposition de l’article 31 de la directive (UE) 2015/849, qui aurait déjà dû être transposé le 10 janvier 2020.

III.    Perspectives européennes

L’Union européenne, quant à elle, entend insister sur la nécessité d’ « une mise en œuvre intégrale de ces directives » anti-blanchiment. Par la voie d’un communiqué de presse du 24 juillet 2019 accompagnant une communication intitulée « Vers une meilleure mise en œuvre du cadre réglementaire de l'UE en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme » ainsi que quatre rapports thématiques, la Commission Européenne soulignait l’importance donnée à la lutte contre le blanchiment. Ce communiqué, en forme de bilan de la Commission Juncker et de perspectives pour la Commission von der Leyen, insiste sur les efforts entrepris par les quatrième et cinquième directives anti-blanchiment et sur ceux qui restent à accomplir.

Ainsi, M. Frans Timmermans, alors vice-président de la Commission, indiquait-il que « des améliorations très concrètes peuvent être apportées rapidement au niveau opérationnel ». La Commission poursuit en indiquant que si « la plupart des recommandations de la première évaluation supranationale des risques ont été mises en œuvre par les différents acteurs (…), certaines vulnérabilités horizontales subsistent, notamment en ce qui concerne les produits anonymes, l’identification des bénéficiaires effectifs et les nouveaux produits non réglementés tels que les actifs virtuels. »

Les lacunes relevées par la Commission « mettent en lumière des problèmes structurels persistants dans la mise en œuvre des règles de l’UE » et appellent une « coopération renforcée entre les cellules de renseignement financier (« CRF »). » En effet, c’est dans la mise en pratique des dispositions transposées que la Commission relève le plus de problèmes, notamment en termes de coopération entre Etats membres. Ainsi, la Commission relève qu’en « raison de la diversité des statuts, des compétences et des organisations, certaines CRF ne sont pas en mesure d’accéder aux informations pertinentes (financières, administratives et répressives) et de les partager », que « le partage d’informations entre les CRF reste insuffisant et est souvent trop lent ». La Commission pointe aussi un manque de moyens, en relevant que « les CRF ne disposent pas des outils informatiques nécessaires à l’importation ou à l’exportation efficaces d’informations. »

En écho à l’analyse de la Commission, le Substitut du Procureur au Parquet Financier et Economique du Luxembourg ainsi que le Directeur du CRF Luxembourgeois ont exprimé leur souhait d’obtenir « plus de moyens », « plus de magistrats et techniciens pour combattre des crimes de plus en plus complexes ».4 

La Commission rappelle par ailleurs qu’elle évalue la transposition de la quatrième directive anti-blanchiment et précise qu’elle « a engagé des procédures d’infraction contre la majorité des Etats membres car elle a estimé que les communications qu’ils lui avaient transmises ne constituaient pas une transposition complète de la directive. » 

Face à cette lenteur voire réticence des Etats membres à transposer adéquatement les directives anti-blanchiment, la Commission suggère dans sa communication une solution audacieuse, non reprise dans le communiqué de presse : la transformation de la directive anti-blanchiment en un règlement, « mesure qui offrirait la possibilité de définir un cadre règlementaire de l’Union à la fois harmonisé et directement applicable pour lutter contre le blanchiment de capitaux. »

Si la Commission rejette volontiers la faute aux Etats membres et à leur transposition inadéquate, certains gouvernements annoncent, de leur côté, vouloir, eux aussi, accroître la lutte contre le blanchiment

Ainsi, le 8 novembre 2019 – soit trois semaines avant l’entrée en fonction de la Commission von der Leyen – les ministres des finances de six Etats membres, dont quatre membres fondateurs (France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Espagne et Lettonie) rendaient publique une position commune (« joint position paper ») soutenant notamment la création d’une autorité de supervision européenne pour la lutte contre le blanchiment de capitaux, comme l’avaient déjà préconisé Mario Draghi, alors président de la Banque Centrale Européenne et Valdis Dombrovskis, Commissaire Européen. Cette structure aurait une autorité directe, et ne serait donc plus cantonnée au rôle de superviseur des autorités nationales.

D’après les recommandations des ministres des finances, l’autorité de supervision européenne devrait pouvoir choisir elle-même de se saisir de certains dossiers, et ce pour garantir une plus grande indépendance dans les opérations de contrôle. La position commune souligne, en effet, que certaines autorités nationales n’ont pas été suffisamment diligentes dans la lutte contre le blanchiment. Pour garantir l’indépendance de la nouvelle autorité, les ministres souhaiteraient que soit créé un comité supranational spécifique, qui serait exempté du principe « un Etat membre : un vote », ce qui permettrait d’éviter un certain nombre de blocages, récurrents dans les institutions européennes. 

De même, la position commune approuve la suggestion faite dans la communication de la Commission Européenne et souhaite que les directives anti-blanchiment fassent l’objet d’un règlement, qui serait donc d’application directe et ne serait pas sujet aux aléas de la transposition par chaque Etat membre.

Ces différentes propositions font écho à une pression politique de plus en plus forte, qui accuse certains Etats membres – et le Luxembourg est régulièrement cité, malgré les grands efforts de transparence opérés – de ralentir le processus d’harmonisation et de lutte contre le blanchiment de capitaux. La Commission Européenne, qui est donc très attendue sur le sujet, pourrait faire des propositions concernant la lutte contre le blanchiment de capitaux dès le premier semestre 2020.

1. http://mj.public.lu/actualites/2019/12/RBE/index.html

2. http://mj.public.lu/actualites/2019/12/RBE/index.html

3. https://www.wildgen.lu/our-insights/article/new-version-bill-establishing-register-fiduciary-contracts-and-trusts 

4. https://www.wort.lu/fr/luxembourg/la-justice-financiere-manque-de-soldats 5e09ec49da2cc1784e35306f

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