Par requête déposée au greffe de la Cour d’appel à la date du 19 juillet 2018, A.) a relevé appel de l’ordonnance précitée et il demande à voir dire que c’est à tort que le Président du tribunal du travail a rejeté ses demandes en cessation de la modification de son contrat de travail, sinon en nullité de la modification, sinon en réintégration, sinon en annulation de la modification, ainsi que sa demande en allocation de dommages et intérêts et sa demande en obtention d’une indemnité de procédure.
Il demande, comme en première instance, à voir constater qu’il a fait l’objet d’une modification d’une clause essentielle de son contrat de travail par la modification de ses attributions et à voir ordonner la cessation de cette modification avec effet immédiat, sinon subsidiairement à voir dire que cette modification est à considérer comme nulle et non avenue, sinon à voir se réintégrer dans ses anciennes fonctions, sinon à voir annuler la modification substantielle intervenue, chaque fois sous peine d’une astreinte de 1.000,- EUR par jour de retard, astreinte non plafonnée sinon plafonnée à 100.000,- EUR.
L’appelant demande encore la réparation de son dommage moral causé par la modification substantielle de son contrat de travail à hauteur d’un montant de 2.500,- EUR, ainsi que l’allocation d’une indemnité de procédure de 950,- EUR pour la première instance et de 1.500,- EUR pour l’instance d’appel.
La société SOC1.) demande la confirmation de l’ordonnance entreprise et le rejet des demandes de A.), ainsi qu’une indemnité de procédure de 1.500,- EUR pour la première instance et de 2.000,- EUR pour l’instance d’appel.
Se basant sur un arrêt de la Cour de Cassation du 14 juin 2018, (n°63/2018, registre n°3984), A.) fait valoir que le Président de la chambre de la Cour d’appel à laquelle sont attribués les appels en matière de droit du travail est compétent pour connaître de l’appel de la décision relative à un recours en cessation d’une modification unilatérale d’une clause essentielle du contrat de travail du délégué du personnel, cette procédure étant à assimiler au recours réservé au délégué contre son licenciement réglementé par l’article L. 415-10, paragraphe 2, alinéa 3 du Code du travail, le procédure de première instance des deux régimes étant identique.
Quant au fond, l’appelant expose qu’il ressort d’un courrier adressé à la date du 11 janvier 2018 par le secrétaire central du syndicat OGBL aux membres du conseil d’administration de la SOC1.) que deux membres de la délégation du personnel, dont A.), auraient fait l’objet de pressions depuis l’engagement de pourparlers au sujet de l’établissement d’une convention collective. Dans cette lettre il serait également question de l’affectation de A.) à la tâche de « Seitenlayout für das Fernsehmagazin », ce qui constituerait une dégradation de la fonction qu’il a occupée depuis 16 ans.
Ce projet de changement d’affection du délégué du personnel n’aurait pas été mis en oeuvre immédiatement, mais suite à un courriel du 4 avril 2018, A.) aurait été informé par B.) qu’il ne travaillerait plus pour le magazine EE.).
S’étant adressé à C.) pour l’informer de la situation, ce dernier lui aurait répondu qu’il n’est pas responsable du personnel, responsabilité qui incomberait à D.), ce que ce dernier aurait cependant nié. Finalement l’affectation à la tâche de « Seitenlayout für das Fernsehmagazin » aurait été définitivement attribuée à l’appelant à la date du 27 avril 2018.
Selon l’appelant, qui reproche encore à la société employeuse un grave dysfonctionnement, son ancienne fonction exigeait une qualification professionnelle de 3 ans, ainsi qu’une certaine expérience professionnelle aux fins de satisfaire aux exigences des standards ISO en matière d’imprimerie et de photographie, tandis que la nouvelle tâche, consistant dans la recherche et la mise en page de photos reprises sur Internet, n’exigerait aucune qualification professionnelle.
Il s’agirait bien d’une modification en défaveur du salarié d’une clause essentielle de son contrat de travail au sens de l’article L.121-7 du Code du travail et l’appelant se base sur la jurisprudence de la Cour d’appel en la matière (CA 18.12.2012, rôle n°37774, CA 03.12.2009, rôle n°34387, CA 23.11.2006, rôlen°30433, CA 27.07.20002, rôle n°25379) pour appuyer ses demandes.
La société SOC1.) conteste toute mise sous pression des délégués du personnel. Concernant le travail de l’appelant, elle explique qu’il édite trois revues et que trois salariés étaient affectés à la mise en page et la préparation à l’imprimerie des photos publiées dans les trois revues. En raison de conflits permanents entre les personnes en charge de ces travaux, il aurait été décidé de les séparer et de retirer un des salariés de la revue de télévision et A.) du magazine EE.).
Selon l’intimée, A.) continue à exercer ses fonctions de mise en page d’images et de layout d’un magazine et il n’y aurait pas de changement substantiel dans ses attributions, ni par ailleurs dans son salaire ou dans ses autres conditions de travail.
Pour autant que de besoin, elle réitère l’offre de preuve formulée en première instance.
Compétence et recevabilité
Les affaires prévues au point 1 et 2 de l’article 415-10 du Code du travail, qui sont jugées en première instance en urgence et comme en matière sommaire, suivent le même sort, la même procédure en instance d’appel.
Il s’ensuit que la Présidente de la huitième chambre de la Cour d’appel est compétente pour connaître de la présente affaire sur base de l’article L.415-10 du code du travail et qu’elle a été régulièrement et valablement saisie par la requête déposée le 19 juillet 2018 (CASS. du 14 juin 2018, précité).
Fond
Aux termes de l’article L.415-10 (1) institué par la loi du 23 juillet 2015 portant réforme du dialogue social à l’intérieur des entreprises et modifiant le code du travail et la loi modifiée du 19 décembre 2001 concernant le registre de Commerce et des Sociétés, ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises, entrée en vigueur le 1er janvier 2016 : « Pendant la durée de leur mandat, les membres titulaires et suppléants des délégations du personnel et le délégué à la sécurité et à la santé ne peuvent faire l’objet d’une modification d’une clause essentielle de leur contrat de travail rendant applicable l’article L.121-7. Le cas échéant, ces délégués peuvent demander, par simple requête, au président de la juridiction du travail qui statue d’urgence et comme en matière sommaire, les parties entendues ou dûment convoquées, d’une demande en cessation d’une modification unilatérale d’une telle clause. »
Ce texte a consacré le principe jurisprudentiel selon lequel la protection de la liberté d’action du délégué sur le plan syndical doit être assurée non seulement par l’interdiction de licenciement du délégué du personnel mais également par l’assimilation de la modification unilatérale par l’employeur des conditions essentielles du contrat de travail dans un sens défavorable pour le délégué à un licenciement qui est prohibé.
La modification rendant applicable l’article L.121-7 du Code du travail doit porter sur un élément du contrat qui avait été considéré par les parties comme essentiel lors de la conclusion, c’est-à-dire sur un élément qui avait pu les déterminer à contracter.
L’enlèvement ou la restriction des activités normalement inhérentes à la qualification professionnelle du salarié peuvent être retenus comme une modification d’une condition essentielle de son contrat de travail, c’est-à-dire comme une dégradation.
Aux fins d’examiner s’il y a modification d’une condition essentielle du contrat de travail de A.), en sa qualité de délégué du personnel, et si la modification intervenue est en sa défaveur, il convient d’abord de rappeler qu’aux termes de l’article 1er du contrat de travail liant les parties en cause, l’employeur est autorisé en principe de procéder à une affectation nouvelle du salarié tenant compte de ses aptitudes professionnelles et/ou personnelles ou des besoins de l’employeur.
Le chef d’entreprise bénéficie du pouvoir de direction et décide seul de la politique économique de son entreprise, de son organisation interne et il est en principe autorisé, en raison de son pouvoir de direction, à changer le salarié de service, à moins d’abuser de son droit. L’abus de droit est une faute dans l’exercice du droit, soit que le droit est exercé en outrepassant les conditions prévues à sa mise en oeuvre, soit que le droit est exercé à des fins autres que celles en vue desquelles il a été reconnu, soit enfin que l’on s’en serve pour nuire à autrui.
Il est constant en cause que A.) était affecté au service PREPRESS et que ses tâches consistaient dans la préparation d’images et de photos aux fins d’être intégrées et imprimées dans les revues éditées par l’employeur, dont la revue de télévision.
Il ressort des deux attestations testimoniales versées par les parties qu’à partir d’un certain moment A.) a été affecté au layout de la revue de télévision en raison de conflits entre les trois personnes en charge du traitement des images des trois revues et ces attestations révèlent que A.) reproche surtout à l’employeur de l’avoir affecté aux travaux de la revue de télévision et non pas le collaborateur qui ne s’entendait pas avec lui.
Or, A.) continue à effectuer des travaux de préparation des images et des photos et de leur mise en page. Si l’illustration de la revue de télévision paraît moins importante ou intéressante, elle reste de la même nature que l’illustration des autres publications de la société SOC1.) et n’en diffère pas à un point pour devoir être considérée comme comportant une modification substantielle dans les attributions ou tâches du salarié en sa défaveur.
Il ne ressort pas non plus d’un quelconque élément du dossier que l’affectation de A.) à la seule revue de télévision constitue une entrave à l’exercice de sa fonction de délégué ou une sanction disciplinaire à son égard.
L’ordonnance entreprise est dès lors à confirmer, sans qu’il soit nécessaire de procéder à l’audition de témoins. (Ordonnance N° 114/18 – VIII – Travail ; Numéro CAL-2018-00660 du rôle)