Le développement du commerce électronique et des échanges à distance a eu un impact fondamental sur la manière d’entrer dans une relation contractuelle. Si un contrat reste formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation, plusieurs problématiques spécifiques ont émergé de l’utilisation de ce nouveau moyen de communication et d’entrée en relations.
Le législateur, sous la pression de l’utilisation exponentielle de l’Internet par les consommateurs pour former leur contrat, a dû modifier le cadre normatif pour répondre à un certain nombre de questions pratiques comme celles de la conceptualisation de l’acceptation d’un contrat sous forme électronique ou celle de la force probante d’un écrit numérique.
Ainsi, le problème majeur était de savoir quelle devait être la valeur probante donnée à un écrit numérique. Si l’apposition d’une signature manuscrite sur un document papier est l’élément déclencheur des obligations qui pèsent sur le signataire, quelle valeur pouvait-on donner à une signature électronique ? Cette dernière pouvait-elle contenir les garanties nécessaires pour identifier le lien s’attachant entre le contrat et le signataire ?
C’est par la loi du 14 août 2000 relative au commerce électronique, telle que modifiée (la «Loi») qu’a été posée la validité des contrats conclus par voie électronique. Cette loi a transposé la directive 1999/931 qui avait pour objectif d’admettre la validité de l’écrit sur support électronique, de sa valeur probante et de la signature électronique2.
Tant l’écrit numérique que ses éventuelles copies ont retenu l’attention du législateur.
La force probante des écrits numériques
La force probante d’un acte juridique est nécessaire pour prouver son exécution, et revêt une importance toute particulière en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution des obligations prévues par les parties.
Les écrits numériques restant soumis au droit commun du droit des contrats, tous les contrats dont la valeur se situe sous le seuil du montant de 2.500 euros voient s’appliquer le régime de la preuve libre3. En d’autres termes, tous les modes de preuve sont admis pour de tels contrats (par exemple la preuve par témoignage, par présomption ou par aveu), de sorte que le problème de la force probante des écrits numériques ne se pose pas réellement dans une telle situation.
En revanche, pour les contrats portant sur une valeur excédant le montant de 2.500 euros, un écrit est exigé. C’est dans ce cas précis que les écrits numériques peuvent poser problème, et ce pour deux raisons principales :
les parties au contrat étant à distance l’une de l’autre, leur identification peut s’avérer difficile et un risque de fraude ou d’erreur sur la personne peut en découler ;
l’écrit numérique porte une information qui est totalement dissociée de tout support matériel, ce qui donne/pourrait donner l’impression d’une fiabilité moins importante que pour l’écrit papier.
Il a été important pour le législateur, avec la multiplication des contrats conclus par voie électronique, de créer un cadre légal afin de protéger les cocontractants qui utilisent cette nouvelle forme de contrat.
La Loi a ainsi modifié, entre autres, certaines dispositions du Code civil afin de rendre possible la conclusion des contrats par voie électronique.
C’est ainsi qu’en application de l’article 1322-2 du Code civil, «l’acte sous seing privé électronique vaut comme original lorsqu’il présente des garanties fiables quant au maintien de son intégrité à compter du moment où il a été créé pour la première fois sous sa forme définitive».
Autrement dit, l’acte sous seing privé (c’est-à-dire un acte écrit établi par les parties elles-mêmes sous leurs seules signatures sans l’intervention d’un officier public) électronique ne vaudra la même valeur qu’un acte papier qu’à la condition de la véracité de son authenticité. Plusieurs conditions cumulatives doivent ainsi être respectées afin de garantir la fiabilité du procédé d’identification :
- le signataire doit être formellement identifié ;
- la signature doit manifester son accord et être liée de façon indissociable à l’acte ;
- l’intégrité4 de la signature doit être garantie au moment de la création et pendant toute la durée de la vie de l’acte.
L’intégrité de la signature est assurée par son chiffrage à clés asymétriques et par une certification d’identité numérique délivrée par un établissement homologué. Autrement dit, la signature électronique dispose des moyens nécessaires pour identifier formellement son auteur et ainsi, certifier sa force probante ; elle est donc une preuve parfaite au même titre qu’une signature manuscrite.
En outre, lorsqu’un acte est créé sous une forme électronique, il n’est pas nécessaire de le rédiger en deux exemplaires et la mention de l’article 1326 du Code civil relative à la somme à payer ou à la quantité de biens à livrer – qui doit figurer en toutes lettres sur les documents papiers – n’a plus à être écrite de la main de celui qui s’engage, dès lors qu’elle est assortie spécifiquement de la signature électronique5.
Les écrits numériques, légitimés par une signature électronique, ont donc aujourd’hui la même valeur probante que tout acte sous seing privé rédigé sur un support papier.
A côté de la question de la force probante des écrits numériques, s’est posée celle des copies sous forme numérique.
La force probante des copies sous forme numérique
Auparavant, la version papier d’un contrat prévalait sur un document électronique, ce qui constituait un réel frein au développement de l’archivage électronique. En effet, les entreprises hésitaient à procéder à la dématérialisation et à la destruction de leurs archives papier malgré leur forte volonté d’adopter cette pratique pour faire face à la masse croissante de documents à conserver.
Un tel cadre normatif n’était ni adapté aux évolutions technologiques dans le domaine de l’archivage, ni à la volonté des entreprises à dématérialiser les documents pour les porter sur des supports électroniques afin de faciliter l’accès aux documents archivés.
En effet, le juge pouvait toujours exiger l’original papier d’un document dématérialisé pourvu que celui-ci existe encore. Il fallait, de plus, apporter la preuve que les copies des documents avaient été effectuées en conformité avec les conditions exigeantes portées par le règlement grand-ducal du 22 décembre 1986 (selon lequel la reproduction devait par exemple permettre de déterminer l’ordre de prise de vue, l’enregistrement devait faire l’objet d’un procès-verbal et les diverses phases de la reproduction devaient s’opérer strictement selon le schéma arrêté aux instructions de travail). Ces diverses obligations n’incitaient pas à copier les documents papiers sous forme numérique.
Enfin, une copie numérique était considérée comme étant équivalente à la version papier originale uniquement quand cette dernière n’existait plus.
La loi du 25 juillet 2015 relative à l’archivage électronique a eu pour but de résoudre les problèmes du cadre juridique de l’époque en permettant la dématérialisation de documents au format papier et la conservation, en toute sécurité et sans perte de valeur probante, de copies ou d’originaux numériques, et ainsi de modifier, entre autres, le Code civil pour donner aux copies sous forme numérique la même force probante que la version originale de l’acte.
En application de l’article 1333 du Code civil, les copies sous forme numérique sont dorénavant des copies à valeur probante au sens de la loi, et ont la même valeur probante que l’original ou l’acte faisant foi d’original, même si une version papier de l’original existe toujours6.
De plus, si le nouveau règlement grand-ducal du 25 juillet 2015 relatif à la dématérialisation et à la conservation des documents contient des conditions quant à la dématérialisation des données, ces conditions ne devront pas être prouvées à l’égard des entreprises qui souhaitent dématérialiser et conserver leurs documents d’affaires par le biais de moyens électroniques à condition d’avoir recours à un prestataire de services de dématérialisation et de conservation certifié.
Si l’on peut se réjouir du fait que les écrits numériques soient aujourd’hui généralement acceptés pour la conclusion d’actes sous seing privés, il faudrait se poser la question de la possible généralisation de ce procédé dans le futur pour les actes authentiques.
Cet article a été précédemment publié dans Entreprises magazine – Numéro 85 – septembre/octobre 2017
[1] Directive du 13 décembre 1999 relative à un cadre communautaire pour les signatures électroniques transposant (i) la directive 1999/93 du 13 décembre 1999 relative à un cadre communautaire pour les signatures électroniques, (ii) la directive 2000/31/CE relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information et (iii) la directive 97/7/CE du 20 mai 1997 concernant la vente à distance des biens et des services autres que les services financiers.
[2] «Contrats informatiques et électroniques», de Philippe le Tourneau – Dalloz.
[3] Article 1341 du Code civil
[4] Par «intégrité», il faut entendre la véracité de la signature.
[5] «Contrats et obligations conventionnelles en droit luxembourgeois», de Pascal Ancel – Larcier
[6] Article 1334-1 du Code civil