Avec le dépôt, le 27 juillet 2016, de son projet de loi N° 7020 (portant mise en œuvre de la réforme fiscale 2017, ci-après le “Projet de loi”), le gouvernement met fin à trois années de doutes et d’effervescence à propos de l’inclusion de la fraude fiscale dans la liste des infractions primaires au blanchiment de capitaux.
Trois formes de fraude fiscale seront désormais à distinguer:
- La fraude fiscale simple, qui sera poursuivie et sanctionnée administrativement (le montant de l’amende est équivalent à quatre fois le montant de l’impôt éludé) ;
- La fraude fiscale aggravée nouvellement créée complétera le droit pénal fiscal et sera poursuivie pénalement et sanctionnée par les tribunaux judiciaires. Elle sera qualifiée de telle dès lors que le montant de l’impôt éludé sera significatif (des seuils seront définis par la loi, et, en cas de dépassement, le montant de la fraude fiscale aggravée sera ipso facto considéré comme significatif) ;
- L’escroquerie fiscale a un caractère de gravité supplémentaire et ses éléments constitutifs ne sont pas modifiés par le Projet de loi. Ce qui distingue cette infraction de la fraude fiscale aggravée est l’emploi systématique de manœuvres frauduleuses avec l’intention de dissimuler à l’administration fiscale des faits pertinents: l’astuce s’ajoute à la tromperie.
Le Projet de loi intègre ensuite ces deux dernières infractions pénales fiscales dans la liste des infractions primaires au blanchiment de capitaux (la liste figure à l’article 506-1 du Code pénal, qui définit l’infraction de blanchiment). Cette nouveauté s’inscrit dans la droite ligne de la proposition du 5 juillet 2016 faite par la Commission Européenne visant à renforcer davantage les règles de l’Union Européenne en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux afin de combattre le financement du terrorisme.
L’alinéa (1) du paragraphe 396 de la loi générale des impôts sanctionnant la fraude fiscale et l’actuel alinéa (5) du même paragraphe sanctionnant l’escroquerie fiscale d’une peine d’emprisonnement d’un minimum d’un mois ne figurent pas encore au rang des infractions primaires désignées de l’article 506-1 du Code pénal. Par ailleurs, le minimum d’emprisonnement attaché à l’escroquerie fiscale ne correspond pas au seuil de six mois de l’article 506-1 paragraphe 1 dernier tiret du Code pénal. Il s’ensuit que le blanchiment de fraude fiscale (simple, ou escroquerie) n’est actuellement pas reconnu à Luxembourg.
Le Projet de loi entend inclure la fraude fiscale aggravée et l’escroquerie fiscale (commises ou tentées en matière d’impôts directs, de droits d’enregistrement et de succession et de TVA) dans la liste des infractions primaires désignées de l’article 506-1 du Code pénal.
Dans l’exposé des motifs du Projet de loi, nous pouvons lire que cette inclusion est dictée par les recommandations du GAFI et par la 4ème directive anti-blanchiment (non encore transposée, et dont la Commission européenne vient de précipiter le calendrier d’adoption d’ici au 31 décembre 2016).
Il n’est cependant pas certain que ces textes internationaux aient véritablement commandé l’adoption d’une telle mesure. A lire strictement la recommandation 3 du GAFI et l’article 3 (4) f) de la 4ème directive, les États ont toujours le choix de pouvoir définir l’infraction fiscale comme étant une infraction suffisamment grave pour être considérée comme une infraction primaire au blanchiment. Il semble que la pression politique et la vague de transparence fiscale ont emporté le choix que le gouvernment vient d’opérer. Pour contrebalancer ce choix politique d’ouverture, et afin de permettre au Procureur Général d’Etat de garder le contrôle en matière de demandes d’entraide judiciaire à caractère pénal fiscal, il est prévu de modifier la loi en matière d’entraide judiciaire de manière à permettre au Procureur Général d’Etat de refuser l'entraide judiciaire si elle a exclusivement trait à des infractions fiscales.
Un point important est précisé par l’exposé des motifs : le gouvernement clarifie l'application dans le temps de la nouvelle mesure et assure que le nouvel article 506-1 du Code pénal ne s'appliquera qu'aux infractions fiscales commises après le 1erjanvier 2017. En application du principe de non-rétroactivité de la loi pénale, des sanctions pénales ne sauraient concerner l’infraction de blanchiment, alors que l'infraction sous-jacente n'était pas encore considérée au moment des faits comme une infraction primaire en matière de blanchiment.
Tout contribuable qui, après l'entrée en vigueur de la loi, commet une fraude fiscale aggravée ou une escroquerie fiscale, est également susceptible de commettre une infraction de blanchiment. L’article 506-4 du Code pénal indique en effet que l’auteur de l’infraction de blanchiment peut aussi être l’auteur ou le complice de l’infraction primaire. L’exposé des motifs indique encore que cela sera aussi le cas si l'infraction pénale fiscale sous-jacente commise après l'entrée en vigueur a trait à des années d'imposition antérieures (par exemple à travers une déclaration d'impôts remise après l'entrée en vigueur de la loi).
Enfin, en ce qui concerne le volet préventif du blanchiment, les obligations professionnelles de lutte contre le blanchiment ne seront déclenchées que pour les délits fiscaux commis après l'entrée en vigueur de la loi, étant donné que la législation en vigueur jusque-là ne considérait pas encore ces délits comme des infractions primaires de blanchiment. Le gouvernement assure que l’identification des transactions et les déclarations de soupçon de blanchiment ne devraient dès lors opérer qu’après le 1erjanvier 2017. C’est sur ce dernier point que les professionnels du secteur financier devront rester extrêmement attentifs.