La problématique de la protection de la vie privée des salariés sur leur lieu de travail a déjà été abordé de nombreuses fois au Luxembourg, notamment suite à une décision du Tribunal correctionnel de Luxembourg du 20 mars 2014 rendue par la XIIème chambre correctionnelle qui avait provoqué une petite révolution au sein de la communauté luxembourgeoise. En effet, cette décision prenait le contre-pied de la jurisprudence traditionnelle en matière de protection de la vie privée au travail en admettant qu’un employeur pouvait lire les e-mails privés de ses salariés. Cet arrêt a toutefois été réformée partiellement par la chambre correctionnelle de la Cour d’appel à travers son arrêt du 28 avril 2015 n°159/15V.
Cette problématique vient également d’être traitée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (« CeDH »). Cette dernière vient de trancher en faveur d’un employeur roumain qui avait surveillé et enregistré les communications d’un de ses salariés sur le compte Yahoo Messenger de la société (jugement n° 61496/08 du 12 janvier 2016, « Bărbulescu c. Roumanie »).
Dans cette affaire, le salarié en question fut licencié pour avoir utilisé à des fins personnelles le compte Yahoo Messenger de la société au mépris du règlement intérieur de celle-ci. En effet, ce dernier prévoyait explicitement qu’il était interdit d’utiliser à des fins privées les appareils électroniques de la société (ordinateurs, imprimantes, téléphones, etc.). Par ailleurs, le compte Yahoo Messenger avait été créé à l’initiative de l’employeur afin que tout salarié puisse discuter avec les clients de la société.
Le salarié affirma avoir uniquement utilisé son compte Yahoo Messenger à des fins professionnelles. L’employeur présenta alors au salarié 45 pages reprenant les retranscriptions des messages personnels qu’il avait échangés avec son frère et sa fiancée sur ledit compte, le tout pendant ses heures de travail et depuis son ordinateur professionnel. Les échanges contenaient notamment des informations privées sur sa santé et sa vie sexuelle.
Suite à son licenciement, le salarié a introduit un recours devant la CeDH pour atteinte à son droit au respect de sa vie privée.
Cette dernière a jugé toutefois qu’il n’était pas déraisonnable pour un employeur de vouloir vérifier que ses salariés s’acquittent de leur tâches professionnelles pendant leurs heures de travail. De plus, selon elle, le salarié devait s’attendre à ce que ses communications soient potentiellement enregistrées puisque non seulement le règlement interne de la société prévoyait l’interdiction de tout usage des appareils informatiques à des fins privées mais, en outre, le compte Yahoo Messenger avait été créé à la demande de l’employeur à des fins professionnelles. Par ailleurs, le déni du salarié d’avoir utilisé uniquement ledit compte à des fins privées a contraint l’employeur à devoir vérifier le contenu des communications.
La CeDH a précisé que l’employeur n’avait pas accédé à d’autres documents sur l’ordinateur du salarié, mais seulement aux messages Yahoo en présumant que ceux-ci étaient professionnels.
Dès lors, la CeDH a conclu, pour écarter toute violation à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (« la Convention »), que les juridictions internes avaient ménagé un juste équilibre entre le droit du requérant au respect de sa vie privée et de sa correspondance en vertu de l’article 8 de la Convention et les intérêts légitimes de son employeur.
Bien que cette décision apporte une précision bienvenue, il apparait toutefois que la frontière entre vie privée et vie professionnelle soit de plus en plus délicate à appréhender en raison du développement incessant des nouvelles technologies.
En effet, de plus en plus de sociétés autorisent leurs salariés à utiliser leurs appareils électroniques professionnels à des fins privées (accès aux e-mails privés, sms, etc.) mais encore à utiliser leurs appareils électroniques personnels à des fins professionnelles (« bring your own devices »).
Face à cette difficulté croissante pour l’employeur et le salarié d’identifier la limite entre vie professionnelle et vie privée, il apparait pertinent de s’en remettre, comme en l’espèce, aux limites posées par le règlement intérieur de l’entreprise qui doit dès lors prendre en compte ces problématiques nouvelles.